DPRK: Democratic Purple Republic of Korea - Adlan Mansri

En novembre 2016, le photographe Adlan Mansri s'est rendu en Corée du Nord avec le souhait de mieux comprendre "ce pays renfermé sur lui-même dont quasiment aucune image ne filtre".
Avec notre pellicule LomoChrome Purple, il a essayé de transmettre le sentiment d'irréalité et de voyage dans le passé qui saisit en pénétrant dans Pyongyang, la capitale.

Pourquoi as-tu décidé de partir en voyage et de prendre des photos en Corée du Nord ?

En fait l’idée avec mon ami Ryan, c’était de partir en Corée du Nord et en Corée du Sud. On a bossé sur un reportage, sur une coréenne qui vit à la frontière, en Corée du Sud et qui a un peu abandonné sa vie occidentale pour travailler sur la question de la réunification entre les deux pays. Ça nous a donné envie d'aller voir la Corée du Nord de nos propre yeux, d’y faire des photos, pour mieux raconter cette histoire.

Durant ton voyage, as-tu pu discuter avec les locaux, autres que le guide qui te faisait visiter le pays ?

C’était un peu compliqué, notamment à cause de la barrière de la langue évidemment. Quasiment personne ne parle anglais là-bas. Mais on a eu la chance de rencontrer des étudiant.e.s, du coup on en a profité pour leur montrer des photos de Berlin, de Paris, et aussi de trucs qu’ils n’avaient peut être jamais vu avant. C’était assez excitant de faire ça, on discutait en Anglais avec, et on sentait que certain.e.s avaient réellement envie de quitter le pays, non pas de manière illégale, mais ne serait ce que par le biais du travail, visiter et voir autre chose que ce qu’ils/elles voient tous les jours là-bas.

La Corée du Nord est l’un des pays les plus secrets au monde. On connaît très peu de choses à propos de sa culture. Est-ce que tu as pu te faire une idée de la vie quotidienne en Corée du Nord ?

En vérité, la culture Nord Coréenne est semblable à celle au Sud, les deux sociétés reposent sur les bases confucéennes, c’est à dire en gros que la réforme de la collectivité n’est possible qu’à travers celle de la famille et de l’individu. La seule différence c’est le modèle économique, et du coup la dictature qui empêche une ouverture sur les autres. Après, je n’ai pas pu me faire une idée de la vie quotidienne la bas. On est logé en hôtel, et on ne visite pas de maisons de familles nord coréennes. Donc les seuls choses qu’on peut voir c’est ce qu’il se passe dans la rue. Mais ça m’a pas empêché de voir des gens avec un ou plusieurs téléphones en main à Pyongyang, la capitale. D’ailleurs il faut rappeler que la population vivant à Pyongyang est une population qui a déjà un rang élevé dans la hiérarchie sociale. Tout le monde ne peut pas habiter Pyongyang.
Après, la province nord coréenne, c’est vraiment pauvre. Les gens se déplacent à pieds ou en vélo pour des longues distances. Mais je n’ai pas vu grand chose des provinces non plus, je les ai principalement traversées.

Quelques-unes de tes photographies numériques ont été supprimées de ton appareil, est-ce que tu as réussi à les récupérer d’une manière ou d’une autre? Est-ce que les agents du gouvernement Nord-Coréen suppriment des photos en particulier ? Qu’est-ce qu’il y avait sur les tiennes ?

Oui, les gardes frontaliers m'ont supprimé environ 150 photos de mon Canon digital, j’ai réussi à les récupérer avec un logiciel mais je t’avoue que ça a été un gros gros coup de stress. En général ils suppriment des photos montrant la pauvreté ou montrant des images de choses qu’ils ont pas envie qu’on voit. Donc des gens à vélo dans la campagne, qui ont l’air pauvre. Aussi les photos de militaires sont interdites. Du coup moi ils ont supprimé essentiellement les photos que j’avais prises dans la campagne, sur le trajet pour aller à Sinuiju, une ville frontalière à la Chine. Beaucoup de paysans, et d’enfants. Je pense aussi qu’ils ne cachent pas seulement la pauvreté, mais ils se protègent car la partie frontalière entre Dandong (en Chine) et Sinuiju en Corée du Nord est un endroit où tout se passe. Beaucoup de marché noir, de passage d'hommes et de marchandise. C’est une frontière qui est assez poreuse mine de rien, donc c’est un truc qu’il ne faut pas montrer, le gouvernement nord coréen ne veut pas montrer que l’embargo ne fonctionne pas vraiment.

Ton voyage s’appelle « TongilTrip » en référence à la réunification des deux Corées. Comment penses-tu qu’il soit possible d’avoir une influence pour réunifier ces deux pays qui sont techniquement encore en guerre ?

Techniquement il n'y a plus de guerre, en tout cas elle n'est pas armée, enfin techniquement si, seulement un traité de cessez-le-feu a été signé. C’est juste une pression et une tension politique qui est ultra présente. En plus, avec les provocations des États-Unis ça ne risque pas de s’arranger…
Je pense pas avoir d’influence, je pense juste qu’il faut montrer que les Nord Coréens sont un peuple qui vit et qui respire comme nous. Je veux dire que les Nord Coréens ne sont absolument pas responsables de ce que leur impose leur gouvernement. Ils subissent plutôt qu’autre chose je pense. Le but serait d’éveiller les consciences de chaque côté, pour que d’une part on arrête d’avoir des a priori sur ce pays (je différencie ici le pays du gouvernement), et qu’on n’oublie pas qu’il y a des gens qui vivent là-bas…
Dans l’imaginaire occidental, ou du « monde libre » démocratique et libéral, c’est impensable de réunir 25 Millions de personnes sous une même idéologie. Évidemment que ça passe par un lavage de cerveau qui s’opère dès le plus jeune âge, mais en discutant avec les Nord Coréens, parfois on a vraiment l’impression qu’ils y croient et qu’ils sont plus ou moins unis.

Ta série montre les différences et les similarités entre les deux Corées, deux nations qui étaient auparavant unies. Dans une de tes photos on peut voir un militaire sud-coréen qui fume une cigarette nord-coréenne que tu lui as donné. Il n’avait jamais fumé de cigarettes de Corée du Nord avant. Est-ce que les générations actuelles de ces deux pays sont tellement mises à distance qu’elles n’ont plus aucune conscience de leur union passée ?

C’est intéressant car au contraire, elles ont complètement conscience de leur union passée. Mais en Corée du Sud par exemple, il y a une discrimination envers les Nord Coréens qui est absolument dingue.
Aujourd’hui il y a plus de trente mille réfugiés nord coréens au sud. Leur condition de vie est spéciale car ils sont nord coréens. Leur insertion est délicate car ils arrivent tous avec des backgrounds différents. Il y a un taux de suicide parmi les réfugiés nord coréens au sud qui est assez élevé (je n'ai pas de chiffre précis). La majorité des réfugiés a déjà songé à passer à l’acte sans jamais le faire, c’est terrifiant tout de même. D’après ce que j’ai vu là-bas, les jeunes générations commencent petit à petit à se réouvrir sur leur passé commun, c’est plutôt les anciennes générations qui, malgré le fait d’avoir vécu cette séparation, sont dans une certaine discrimination du Nord Coréen… À la séparation, le sud est devenu anti-communiste et pro américain jusqu’à la démocratisation en 1988…

Le régime nord-coréen pratique la censure pour cacher à ses citoyens les choses qui ne seraient pas en adéquation avec le récit qu’il souhaite raconter. Est-ce que les personnes que tu as rencontrées en Corée du Nord et en Corée du Sud sont intéressées par la réunification ? Les média et le système éducatif n’ont rien d’objectif dans ces deux pays : est-ce que les citoyens sont aliénés par les pensées de leurs gouvernements respectifs ?

Bien sûr, la réunification est sur les lèvres des Coréens tous les jours. C’est à cause de puissances bien plus grandes que les Coréens qu’il n’y a pas de réelle volonté de réunification. Dans l’idée, les Coréens aimeraient être de nouveau un seul peuple je pense, d’après les discussions que j’ai eues. Le problème ce sont les puissances qui ont un contrôle sur la Corée du Sud et la Corée du Nord. Les USA, la Chine, la Russie et le Japon n’ont aucun intérêt géopolitique et économique à voir ces deux puissances réunies… Il y a un dicton fort en Corée où on parle de « peuple coréen », le « sang purement coréen » qui est un terme utilisé dans toute la Corée (민족) qui est l’équivalent de la race coréenne. Bon c’est très nationaliste, et assez effrayant quand on l’explique comme ça mais c’est très cher aux Coréens.

Est-ce que ta vision et ta compréhension de la Corée du Nord ont changées depuis ton voyage ?

Évidemment, j’ai une vision et une compréhension beaucoup moins biaisées par les propagandes en tout genre. Qu’elles soient occidentales ou nord coréennes. Je me suis beaucoup intéressé à la question à ce propos. Et, bien évidemment la dictature nord coréenne et ce que le peuple subit est inacceptable, je ne remettrais jamais en cause cela. Il faut pas oublier cependant qu’il y a une propagande anti nord coréenne qui est ultra présente aujourd’hui. Je ne fais pas la promotion du gouvernement, mais quand on voit la pression que les États-Unis mettent sur les Nord Coréens, et comment les Américains ont imposé leur « démocratie » dans d’autres régions du monde, notamment au Moyen-Orient, on peut comprendre la peur que les Nord Coréens ont et cette envie de se défendre et de ne pas se laisser faire. Bien sûr, il y a des manières de le faire et on sait clairement que le régime nord coréen est dans l’irrespect total des traités sur les droits de l’Homme.

Tu as indiqué avoir passé les quatre jours les plus étranges de ta vie en Corée du Nord, peux-tu nous expliquer pourquoi ce fut une expérience aliénante ? Quel a été ton ressenti lors de ton voyage dans ce pays qui n’a pas les libertés que nous connaissons ?

Je sais pas si j’ai passé assez de temps là-bas pour dire que c’était une expérience aliénante. J’ai juste passé les 4 jours les plus étranges de ma vie, et je n’arrive toujours pas réellement à me rendre compte de ce que j’ai vu. On est surveillé pendant tout notre séjour, on ne peut pas réellement se déplacer librement, on a un peu l’impression de se faire balader dans un zoo, sauf que les animaux seraient des êtres humains avec lesquels tu ne peux pas forcément avoir de contact.

Est-ce que tu as perçu une certaine animosité des locaux envers leur gouvernement et/ou la politique nord-coréenne en générale ?

Non absolument pas, mais je pense juste qu’ils ne s’expriment pas comme ils auraient envie de le faire. La peur et l’instinct de survie est parfois bien plus fort que tout autre chose. En même temps je ne sais pas si ça leur vient forcément à l’idée ; surtout s’ils vivent à Pyongyang c'est généralement qu'ils sont proches avec le gouvernement.

Les prises de vue que tu as réalisées avec la Lomochrome Purple ont une esthétique surréaliste et donnent un côté artistique à tes photographies de chercheur et de touriste dans un pays qui veut contrôler entièrement son image. Est-ce que tu considères avoir photographié une série documentaire ou est-ce que tu as souhaité également faire passer un message avec tes photos ?

En utilisant cette pellicule, et ce procédé chimique, j’ai voulu transmettre le sentiment d’irréalité et de voyage dans le passé qui saisit en pénétrant dans Pyongyang, la capitale. Ses habitants semblent en être piégés, entre totalitarisme et immense pauvreté. Bien loin de l’image que cherche à en donner le régime, qui la dépeint comme une ville dynamique et moderne. Elle semble en réalité figée dans le passé, bloquée dans les années 80, date à laquelle son développement économique s'est arrêté.

Le régime ne communique pas de chiffres fiables sur son économie, et les données fournies par le ministère sud-coréen de l'Unification sont suspectées d’être biaisées. On ne dispose donc de quasiment aucune information sérieuse sur l’état du pays. Une absence qui accentue ce sentiment d’irréalité, d’inconnu, d’être propulsé dans un monde parallèle où on se met à douter de ses propres perceptions.
J’ai voulu, au travers du traitement de cette pellicule, accentuer ce contraste, appuyer les effets de vide, d’immensité pour faire ressortir encore davantage le caractère inimaginable de la ville. Avec cette série, j’ai cherché à montrer une autre réalité de la Corée du Nord, une réalité brouillée, fausse, à l’image de celle vécue par ses habitants, retenus dans un univers parallèle où la vie est ralentie et où l’histoire s’est arrêtée.

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Certaines de ses photos seront exposées du 6 au 8 octobre prochain dans le cadre de l'exposition collective FAKE Realities au Couvent des Recollets, à Paris. Plus d'infos ici.

Retrouvez le travail de Adlan Mansri sur son site internet, sur Instagram, sur Facebook.

2017-10-03 #news #Gens

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