Photographier la rareté : Sarah Witt et Matthieu Fares shootent les îles volcaniques avec les pellicules LomoChrome

Entre insularité méditerranéenne, expérimentation photographique et narration visuelle, Sarah Witt nous embarque dans un projet aussi poétique que politique. Avec Matthieu Fares, architecte et cofondateur du Collectif Phosphore, elle explore les enjeux liés à l’eau douce sur les petites îles volcaniques italiennes à travers ACQUAD’ORO, une recherche à la croisée de la photographie, du collage et de la cartographie. Pour documenter ce travail sur le terrain, elle a choisi de shooter avec deux de nos pellicules expérimentales : la LomoChrome Color ’92 120 et la LomoChrome Metropolis 35 mm. Résultat : des images puissantes, à la fois sensibles, techniques et traversées par une esthétique forte.

On a voulu en savoir plus sur sa démarche, ses choix visuels, et sur la façon dont ces pellicules se sont intégrées à son processus de création.

Crédits : Collectif Phosphore

Hello Sarah, contents de te revoir dans le magazine ! Peux-tu nous parler de la genèse du projet ACQUAD’ORO ? Qu’est-ce qui vous a donné envie, avec Matthieu, d’explorer la question de l’eau douce sur les petites îles méditerranéennes ?

Nous avons cofondé le Collectif Phosphore en 2022 autour d’un thème qui nous tient à cœur : l’insularité en Méditerranée. L’impulsion est venue de Matthieu, qui a vécu sur une île et développé une véritable fascination pour ces territoires. Lors de notre rencontre, il avait déjà entrepris un travail de cartographie minutieuse, dessinant et répertoriant les îles de la Méditerranée dans un grand tableau. J’ai été immédiatement touchée par sa passion, et nous avons décidé d’unir nos deux pratiques — l’architecture et la photographie — pour explorer ensemble ces espaces insulaires.

En 2023, nous avons mené une première résidence en Grèce, où nous avons abordé le fonctionnement global d’un micro-territoire insulaire : gestion des déchets, de l’eau, de l’électricité, agriculture... Puis, en 2024, lors d’un séjour d’étude dans les îles Éoliennes, nous avons approfondi la question de l’eau douce. Ces îles, d’origine volcanique, ne disposent ni de nappes phréatiques, ni de rivières. L’approvisionnement en eau dépend entièrement de navires-citernes affrétés par l’État italien. Ce système, à la fois technique et poétique, nous a intrigués. C’est de là qu’est née notre envie d’en faire un projet à part entière.

Crédits : Collectif Phosphore

Quelle place occupe la photographie dans votre recherche pluridisciplinaire ?

La photographie occupe une place centrale dans notre travail. C’est par elle que tout commence. Elle nous pousse à aller sur le terrain, à explorer les îles, à rencontrer les habitants, à documenter leur rapport au territoire. Elle capte à la fois des situations concrètes et des atmosphères, et nous permet de constituer une base solide pour le reste de notre recherche. Les autres médiums viennent ensuite enrichir ce matériau photographique, mais la photographie reste le socle de notre démarche.

Vous intégrez aussi du collage et de la cartographie dans votre narration : comment choisissez-vous supports ou les combinaisons entre les médiums ?

À partir des photographies, nous construisons un récit élargi, en mêlant dessin, cartographie, collage, et interventions à la feuille d’or. Ces médiums viennent prolonger l’image, en révéler des dimensions invisibles, en particulier celles du parcours de l’eau. Les cartes et les dessins, par exemple, tracent les flux hydrauliques, comme des veines nourricières du territoire. Le collage nous permet d’imaginer des scénarios futurs — parfois utopiques — ou des solutions possibles face à la raréfaction de l’eau douce. La feuille d’or, quant à elle, vient souligner la valeur précieuse de l’eau douce. Elle agit comme une métaphore visuelle. Ce travail manuel nous permet de réinterpréter la photographie, de la faire vibrer autrement.

Crédits : Collectif Phosphore

Comment avez-vous pensé l’esthétique du projet pour traduire les enjeux liés à l’eau, à la précarité des ressources et à l’isolement ?

Nous avons cherché à traduire visuellement la réalité d’un quotidien insulaire rythmé par l’adaptation et la gestion d’une ressource fragile. Nos photographies captent à la fois l’univers de l’île, la présence imposante du navire, et les visages des insulaires. Les images déjà présentées dans cet article sont issues de notre phase de recherche. La prochaine série, en cours de finalisation après notre dernier séjour en avril 2025, proposera une esthétique plus affirmée. Chaque image sera pensée pour faire ressentir la présence de l’eau, sa trace, sa texture. C’est un choix fort : nous voulons que l’eau soit visible, même lorsqu’elle ne l’est pas directement. Ces images seront dévoilées prochainement.

Que souhaitez-vous que le spectateur ressente ou comprenne en découvrant votre travail ?

Nous souhaitons avant tout sensibiliser à la fragilité de l’eau douce, à travers le cas concret d’un territoire insulaire dépendant d’un système d’approvisionnement extérieur. En rendant visible le lien entre le navire-citerne et l’île, entre la technologie et les gestes du quotidien, nous voulons montrer à quel point cette ressource façonne les modes de vie, les habitudes, l’organisation même du territoire.

Crédits : Collectif Phosphore

Au-delà de l’aspect documentaire, c’est aussi une manière de parler d’un avenir possible. Aujourd’hui, l’eau douce coule encore librement dans la plupart des grandes villes, mais des exemples comme celui de Barcelone, qui commence à se faire livrer de l’eau par bateau, montrent que cette question n’est plus limitée aux îles. Ce que vivent les insulaires aujourd’hui pourrait devenir une réalité plus large demain. Notre travail vise à faire prendre conscience de cette précarité, sans être alarmiste, mais en invitant à réfléchir à nos usages et à notre rapport à l’eau.

Le fait de travailler en duo avec un architecte change-t-il ta manière d’aborder la photographie ?

Oui, complètement. Travailler avec Matthieu me pousse à envisager la photographie non pas comme une fin en soi, mais comme une matière première, un point de départ qui peut être transformé, prolongé, combiné à d’autres formes d’expression. Ça m’a vraiment permis d’élargir ma pratique, de sortir du cadre classique de la photographie, et d’ouvrir de nouvelles pistes de narration.

Crédits : Collectif Phosphore

Y a-t-il une image ou un moment de la série qui t’a particulièrement marquée sur le terrain ?

Oui, plusieurs. Mais si je devais en retenir un, ce serait la première fois que nous avons pu monter à bord du navire-citerne, en avril dernier. C’était un moment fort. Jusqu’ici, nous l’avions toujours observé depuis la terre, à distance. Il arrive sans prévenir, imposant, souvent la nuit, illuminé, presque irréel dans ce décor insulaire. Pouvoir entrer à l’intérieur, découvrir les cales, l’équipage, photographier cet espace clos et fonctionnel, a vraiment donné une nouvelle dimension au projet.

Qu’est-ce qui t’a attirée dans le choix des pellicules Lomography pour ce projet ?

Nous avions envie de sortir des rendus classiques, d’expérimenter une esthétique un peu différente. Les pellicules Lomography offrent des teintes particulières, presque irréelles, qui permettent de créer une ambiance légèrement décalée. Ce rendu cinématographique, un peu hors du temps, collait bien à l’atmosphère de l’île, à son mystère, à cette sensation d’isolement.

Crédits : Collectif Phosphore

Comment s’est passée l’expérience avec la LomoChrome Color ’92 et la LomoChrome Metropolis ? Quelles différences as-tu perçues entre les deux ?

Les deux pellicules ont chacune une identité très marquée, et c’est justement ce contraste qui nous a intéressés. La LomoChrome Color ’92 donne des images plus douces, avec des teintes chaudes et légèrement nostalgiques. Il y a quelque chose de presque familier dans son rendu, qui évoque les archives personnelles, les souvenirs.

La LomoChrome Metropolis, à l’inverse, produit un rendu plus froid, désaturé, avec des contrastes plus marqués. Elle apporte une atmosphère plus brute, plus urbaine, presque industrielle. On l’a surtout utilisée pour photographier les structures métalliques liées au transport de l’eau. Elle accentue le contraste entre l’environnement naturel de l’île et ces éléments techniques, venus de l’extérieur.

Qu’envisagez-vous pour la suite ? Avez-vous d'autres projets dont tu aimerais nous parler ?

Nous avons encore beaucoup d’images à dévoiler, notamment celles issues de notre dernier séjour en avril 2025, qui marquent une nouvelle étape dans le projet. Nous cherchons des financements et des résidences pour approfondir la recherche, consolider l’écriture du projet et imaginer ses futurs formats de diffusion.

Crédits : Sarah Witt

En parallèle, nous préparons aussi un workshop sur une petite île de Sardaigne, en collaboration avec des acteurs locaux. Ce sera l’occasion d’explorer d’autres formes de transmission, plus participatives. Nous annoncerons tout ça très bientôt.


Entre poésie visuelle et réflexion écologique, le travail de Sarah Witt nous invite à repenser notre rapport à l’eau. Pour suivre la suite du projet ACQUAD’ORO et découvrir leurs prochaines images, rendez-vous sur le compte du Collectif Phosphore.

écrit par alplvl le 2025-05-09 dans #équipement #culture #lieux

LomoChrome Metropolis 35 mm ISO 100–400

Ce film a une formule chimique unique, spécialement conçue dans les laboratoires Lomography, qui désature les couleurs, atténue les tons et fait ressortir les contrastes.

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