Redécouvrir l’Arctique à travers l’objectif de Catherine Lemblé
1 Share TweetAlors que l'hiver s'est officiellement installé, c'est le moment idéal pour vous présenter Catherine Lemblé, une photographe basée à Bruxelles qui apprivoise le froid comme personne. Elle trouve une beauté singulière dans la capture de paysages époustouflants et de portraits dans des températures extrêmes. Son travail comporte des défis uniques, comme attendre des heures lorsque les mécanismes de son appareil se figent à cause du froid.
Nous lui avons envoyé le LomoGraflok pour qu'elle l'essaye dans ces magnifiques paysages. Aujourd'hui, elle partage avec nous les résultats, ainsi que des réflexions sur son processus créatif et les inspirations derrière son travail saisissant.

Salut Catherine ! Peux-tu commencer par nous parler un peu de toi et de comment tu as débuté en photographie argentique ?
J’ai grandi dans une ville industrielle en Belgique, passant mes vacances d’été à randonner en montagne. J’ai commencé à prendre des photos à 15 ans, dans les Alpes, avec le petit appareil photo numérique de ma mère, fascinée par la manière dont la réalité se transposait en images. À cette époque, je fréquentais souvent un magasin d’occasion local qui vendait des livres Time-Life, comme The World's Wild Places et la série American Wilderness, remplis de magnifiques images en couleur de paysages américains des années 70. Ces photos granuleuses ont éveillé quelque chose en moi, elles offraient un aperçu d’un monde plus vaste. J’ai commencé à les collectionner, et parfois, je découpais les photos pour créer mes propres paysages.

À 17 ans, je me suis inscrite à des cours du soir de photographie dans une école d’art locale, où j’ai appris à photographier avec des pellicules noir et blanc et à développer mes images dans une chambre noire. Plus tard, j’ai étudié la photographie à la Luca School of Arts à Bruxelles, où la première année était entièrement dédiée à la photographie argentique. Au début, j’ai eu du mal à trouver la motivation et à réussir les projets imposés, mais j’ai redécouvert ma passion lorsque nous avons gagné plus de liberté créative les années suivantes.
Pendant mon année de master, je suis retournée à la montagne, ce qui m’a inspirée à voyager seule avec mon appareil photo et mes pellicules. J’aimais la solitude et le processus lent de la photographie argentique. Voyager seule m’a appris à me fier à moi-même. Ce sentiment de solitude, combiné à la lenteur de la photographie sur pellicule, a approfondi ma connexion avec mon environnement et avec moi-même.
Pendant longtemps, je me suis concentrée sur les paysages intégrant des éléments construits par l’homme. Cependant, récemment, je suis de plus en plus attirée par la photographie de personnes, réalisant que mes choix en photographie révèlent souvent des choses sur moi-même avant que je ne les comprenne consciemment.
Tu utilises la photographie argentique pour explorer la relation changeante entre l’humanité et le monde naturel. Qu’est-ce qui te fascine dans ce thème ?
Au fil des décennies, notre relation avec la nature a évolué de diverses manières, influencée par les valeurs sociétales et les crises environnementales. Dans son essai The Trouble with Wilderness, William Cronon soutient que notre concept de « nature sauvage », vue comme une terre vierge et immaculée, est davantage une construction culturelle qu’une réalité. Autrefois perçus comme menaçants et inhospitaliers, les espaces sauvages sont devenus des lieux idéalisés et admirés, considérés comme l’antithèse de l’humanité, un refuge loin de la vie urbaine, pour se reconnecter à ce que l’on appelle l’« authentique ». Cette transformation se reflète dans la perception des Alpes : d’abord vues comme terrifiantes, elles furent ensuite célébrées comme des paysages sublimes.
Cependant, ce processus de distanciation, qui consiste à traiter la nature comme quelque chose d’« autre » plutôt que comme une partie de nous-mêmes, a créé l’illusion d’une séparation. Silent Spring de Rachel Carson a brisé cette illusion en montrant que les pesticides ne respectent pas les frontières que nous avons imaginées. Son travail a été crucial pour révéler que nos actions, aussi industrielles ou « civilisées » soient-elles, sont inévitablement liées aux cycles de la nature et que les conséquences de notre exploitation finissent par nous revenir.
Protéger l’environnement n’est plus une question de préserver des paysages pittoresques pour leur simple beauté, mais de prendre soin de la santé, de la sécurité et du bien-être des populations partout dans le monde.
En plus des images que nous utilisons pour représenter la nature, je m’intéresse également au langage que nous employons pour la décrire, car il joue un rôle important dans notre perception de celle-ci.Annette Kolodny a écrit sur la manière dont les métaphores et le langage utilisés pour parler de la nature reflètent souvent une volonté de la dominer, de l’apprivoiser, en particulier dans une perspective patriarcale. Par exemple, décrire un paysage comme une « nature vierge » renforce cette vision exploitante, en présentant la nature comme quelque chose à posséder ou à contrôler, ou, aujourd’hui, à « sauver ». Ce type de langage, même utilisé inconsciemment, influence notre façon de penser et de traiter la nature, non pas comme une relation à cultiver, mais comme une ressource à exploiter, alors qu’elle devrait être perçue comme une amie, quelqu’un qu’on aime et qu’on souhaite protéger.
Ce que j’apprécie particulièrement dans la photographie avec des appareils argentiques moyen ou grand format, c’est que chaque image demande de la patience, de la réflexion et une présence totale.Ce processus me permet de ralentir et reflète la manière dont nous devrions approcher la nature : avec respect, attention et humilité.
Ton travail te mène souvent dans des régions froides comme l’Arctique, et ton projet Only Barely Still met en lumière des femmes vivant dans ces zones. Peux-tu nous en dire plus sur ce qui a inspiré ce projet et ce que tu souhaites transmettre à travers ces images ?
En 2017, ma sœur m’a parlé de Sarah, sa belle-sœur, qui vit à Svalbard et travaillait comme « garde contre les ours polaires » dans un camping. Aujourd’hui, elle est cheffe d’expédition sur un navire, et elle est également artiste.
Ma seule référence à l’Arctique était constituée de récits sur des étendues blanches, des épreuves extrêmes et des explorateurs polaires. La différence entre l’absence de femmes dans ces histoires et toutes les femmes incroyables que j’ai rencontrées lors de mes séjours à Svalbard a été la source d’inspiration pour ce projet.
Je voulais mettre en lumière la présence et les expériences des femmes à Svalbard, et défier la vision stéréotypée des femmes comme étant absentes ou subordonnées dans des paysages soi-disant « vierges ».
À travers ces images, je cherche à refléter la diversité des expériences féminines dans l’Arctique, en les présentant comme des actrices actives de leur environnement plutôt que comme de simples observatrices passives.
Quels défis as-tu rencontrés en photographiant dans ces environnements, et comment les surmontes-tu ?
Le premier défi qui me vient à l’esprit est de gérer un appareil photo gelé. J’utilise un Pentax 67, un appareil argentique moyen format. C’est une machine imposante, entièrement en métal. Lorsqu’il fait extrêmement froid, le mécanisme peut se figer — ce qu’on appelle un cold soak — et cela bloque l’obturateur. Dans ce cas, je dois souvent « simplement » attendre quelques heures que l’appareil se réchauffe avant de pouvoir l’utiliser à nouveau. Une autre limitation technique est la vitesse d’obturation lente en cas de faible luminosité, car je n’utilise ni flash, ni appareil numérique, ni pellicule à haute sensibilité.
Un autre défi est de ne pas pouvoir sortir seule sans une personne armée. À Svalbard, il est interdit de quitter la ville sans fusée de détresse et fusil (pour se protéger des ours polaires). Cela signifie que je dois soit partir avec un guide, soit trouver des amis pour m’accompagner, ce qui me rend dépendante des autres. Bien sûr, une autre option serait d’apprendre à tirer et d’acquérir la confiance nécessaire pour explorer seule.
Dans l’Arctique, il est essentiel de garder l’esprit ouvert. Les conditions météorologiques imprévisibles signifient que les plans changent souvent, ce que je trouve à la fois fascinant et frustrant. Je suis récemment revenue d’un séjour de cinq jours sur le terrain avec une chercheuse incroyable et inspirante. J’étais nerveuse au départ à l’idée de parcourir de longues distances à travers la neige, les rochers et la glace avec un sac à dos lourd, sans savoir quels animaux nous pourrions rencontrer. Cependant, j’ai appris que l’esprit et le corps s’adaptent bien plus facilement qu’on ne l’imagine. Cette expérience m’a enseigné la valeur de la résilience et de la flexibilité dans des environnements exigeants. J’aime aussi la façon dont ces paysages nous rappellent notre humilité.
Travailles-tu actuellement sur des projets que tu aimerais partager avec nous ?
Je finalise en ce moment les images de mon projet Only Barely Still, que j’ai hâte de transformer en livre photo avec un éditeur fantastique l’année prochaine. En parallèle, j’explore de nouvelles idées de projets, mais elles en sont encore à leurs débuts et restent un peu trop vagues pour en parler pour l’instant.
Tu as récemment utilisé notre LomoGraflok dans les Alpes. Comment as-tu trouvé l’expérience de la photographie en format 4x5, et qu’a-t-elle apporté à ton processus créatif ?
Utiliser le LomoGraflok m’a permis de mieux me familiariser avec mon appareil photo de terrain au format 4x5. C’était une excellente opportunité d’apprendre à travailler avec cet appareil sans la pression d’utiliser des films coûteux. Cette liberté m’a encouragée à expérimenter davantage, à prendre des photos sans l’inquiétude constante de devoir obtenir une image parfaite pour justifier le coût. De plus, c’est très agréable de pouvoir offrir à quelqu’un une photo physique juste après avoir capturé son image ; cette connexion tangible apporte une dimension particulière à l’expérience.
Y a-t-il quelque chose que tu aimerais partager avec notre communauté ?
Je trouve que la communauté de la photographie argentique est un espace très accueillant et solidaire. À Bruxelles, j’ai découvert que de nombreuses personnes au sein de cette communauté se connaissent et se soutiennent mutuellement. Si vous êtes à Bruxelles et cherchez à développer, imprimer ou scanner vos pellicules, il existe de nombreux endroits qui offrent un service de grande qualité avec un accueil chaleureux et bienveillant. L’accès à des services de numérisation et d’impression de qualité a grandement contribué à améliorer l’ensemble de mon travail.
Certains lieux à Bruxelles proposent également des ateliers sur l’impression argentique, des techniques alternatives et bien plus encore, comme Mori Film Lab et l’Enfant Sauvage.
Un grand merci à Catherine pour cette interview ! N’hésitez pas à la suivre sur Instagram et à visiter son site web pour découvrir ses projets et, peut-être, développer une nouvelle appréciation pour l’hiver.
Et n’oubliez pas de jeter un œil au LomoGraflok si vous souhaitez expérimenter avec la photographie en grand format !
écrit par lomocato le 2025-01-24 dans #équipement #Gens #lieux
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