Lomography a aimé « Le Secret de la chambre noire »

1

Réalisateur et scénariste japonais propulsé sur la scène internationale à la fin des années 90, Kiyoshi Kurosawa incarne la post Nouvelle Vague nippone. Artiste marquant de ce renouveau du cinéma local, son œuvre compte des courts-métrages, des séries, des téléfilms et des longs-métrages, tous marqués par un univers singulier fait de silhouettes fantomatiques oscillant entre drame, thriller et fantastique.

Avec « Le Secret de la chambre noire », Kurosawa signe là son premier film tourné en-dehors du Japon, le tournage s'étant en effet déroulé en France, en français, et avec des têtes d'affiches telles que Tahar Rahim et Olivier Gourmet. En dépit de ce cette première, le réalisateur reste fidèle à lui-même et nous livre un long-métrage inattendu. Morgane et Théo de l'équipe Lomography France se sont rendus à la projection du film en avant-première à la Cinémathèque.

Salut Morgane ! Salut Théo ! Vous avez eu la chance de pouvoir voir en avant-première le film « Le Secret de la chambre noire ». Pourriez-vous nous donner vos toutes premières impressions en sortant de la séance ?

M. Bluffée. C’est une des meilleures expériences cinématographiques que j’ai pu avoir en 2016 à vrai dire. C’est typiquement le genre de film qui demande un petit temps d’adaptation lorsque l’on sort de la salle et que l’on bascule dans le monde réel. J’aime beaucoup ce type de films à l’image des réalisations de Denis Villeneuve ou du film The Double (Richard Ayoade).

T. Je suis sorti de la salle comme étourdi. Une sensation vraiment bizarre, accentuée par un retour brutal à la lumière après ces deux heures suspendues dans le noir – de la salle et du film. C’était une découverte pour moi et aussi une véritable expérience. Déroutant.

Pourriez-vous nous parler du lien entre le daguerreotype, cette "chambre noire", ce vieux procédé photographique utilisé par Stéphane Gourmet et l’histoire du film ?

T. Le film tourne autour du trio Gourmet (Stéphane) – Rahim (Jean) – Rousseau (Marie), et la photographie est le quatrième personnage de l’histoire, un protagoniste abstrait mais qui fait le lien entre les autres. En effet, Jean est l’assistant de Stéphane, un ancien photographe de mode réputé qui a laissé derrière lui sa carrière pour se concentrer sur la daguerréotypie, prenant sa fille Marie pour modèle. Une sorte de retour nostalgique, fantasmagorique et obsessionnel aux origines de la photographie.

Qu’est-ce qui vous a plu dans ce film ?

M. Le fait qu’il n’appartient à aucun genre. On ne peut pas le mettre dans la case du thriller, du film fantastique, du huis clos ou du drame. Le réalisateur brouille (une nouvelle fois !) les frontières avec « Le Secret de la chambre noire ». J’ai trouvé que le film avait un côté très nouvelles fantastiques de Maupassant (Horla). Grande adepte du cinéma de l’horreur, j’ai aimé cette façon très japonaise finalement de traiter l’image qui donne au film une ambiance unique pesante et presque palpable. J’ai aussi aimé les plans et la photographie du film, la manière dont Kurosawa a animé cette maison remplie d’objets qui prennent vie et qui viennent hanter chaque séquence. Le film dure près de deux heures pendant lesquelles le temps semble “s’étirer”. Et pourtant on est aspiré par l’histoire et à aucun moment on est tenté de regarder sa montre. Kurosawa donne aux mouvements une certaine rigidité et une lenteur oppressante et j’ai beaucoup aimé la façon dont il a traité le thème de l’absence en mettant justement en mouvement cette maison. La vie et la mort sont des pierres angulaires de la nébuleuse Kurosawa qui les traite avec subtilité et pudeur.

T. J’ai aimé l’inconfort que m’a procuré le film. Il y a quelque chose de très pesant, de très lourd dans l’atmosphère que nous livre Kurosawa dans ce kaidan en français sur fond de plaque argentique. Une pesanteur mise en abîme par la complexité de la chambre noire démesurée employée par Stéphane pour réaliser ses daguerréotypes. Le synopsis en tête, j’ai trouvé que le film démarrait assez rapidement, et je ne savais du coup pas à quoi m’attendre pour la suite. Mais la narration est pleine de surprises et elle bouscule toute notion de temporalité. On est suspendus au déroulement du film, en questionnement constant sur la suite de l’intrigue mais aussi sur la réalité de ce que l’on regarde. C’est une plongée en apnée, sombre et pleine de doutes, qui m’a parfois fait penser à “Goodnight Mommy” de Veronika Franz et Severin Fiala – en beaucoup moins solaire. J’aime ces ambiances déroutantes et subtiles, où l’on ne distingue plus le vrai du faux. J’ai également apprécié l’importance pathologique, presque psychiatrique, que donne Stéphane au procédé photographique, même si c’est là l’origine même de sa folie. Sa considération organique pour la tangibilité de l'image et du portrait, qui capture l’âme, me semble particulièrement intéressante et fait écho à ce retour de l’argentique dont nous sommes témoins aujourd’hui. Le moyen prend le pas sur la finalité, et il finit par en créer une nouvelle.

Avez-vous une séquence qui vous a particulièrement plu ?

M. J’ai particulièrement aimé la scène qui vient clôturer le film. Pour ne pas trop vous en dire, il s’agit d’une séquence où Tahar Rahim prend conscience de la réalité. Tout au long du film, Kiyoshi Kurosawa sème le trouble entre le réel et l’imaginaire si bien que l’on ne sait pas vraiment où se situer. C’est bel et bien la force de ce film. On a envie de le revoir une nouvelle fois car lorsque l’on connaît l’issue de l’histoire, on repense à certaines séquences que l’on pourrait “lire” sous un autre angle. Ce film appelle à une relecture et j’ai hâte de pouvoir le voir à nouveau. J’ai aussi aimé les séquences relatives à la mise en place des shootings avec cette machine terrifiante qui vient immobiliser (emprisonner ?) Constance Rousseau qui interprète la fille du photographe.

T. La scène dans la serre est aussi incroyable que malaisante. Je garde aussi un souvenir puissant des coups de feu. De manière plus globale, j’ai premièrement été irrité, puis touché par la candeur du personnage interprété par Constance Rousseau. Le duo qu’elle forme avec Tahar Rahim est attachant et on a envie de voir leur relation (s’il en est une…) s’épanouir. Jusqu’au dénouement final.


Le Secret de la chambre noire, un film de Kiyoshi Kurosawa
Avec : Tahar Rahim, Constance Rousseau, Olivier Gourmet, Mathieu Amalric

Stéphane, ancien photographe de mode, vit seul avec sa fille qu'il retient auprès de lui dans leur propriété de banlieue. Chaque jour, elle devient son modèle pour de longues séances de pose devant l'objectif, toujours plus éprouvantes. Quand Jean, un nouvel assistant novice, pénètre dans cet univers obscur et dangereux, il réalise peu à peu qu'il va devoir sauver Marie de cette emprise toxique.

Date de sortie : 8 mars 2017

2017-02-07 #vidéos

Les articles les plus captivants