Interview de Lomig Perrotin, créateur de la société Film Washi
11 Share TweetLomig est, on peut le dire, un de ces irréductibles gaulois qui continue de faire vivre la photographie argentique. Fondateur de la marque Film Washi, le plus petit fabricant de film photographique.
Bonjour Lomig. On est très content de t’accueillir ici sur le magazine ! Est-ce que tu pourrais te présenter à la communauté Lomography ?
Bonjour, tout d’abord merci pour l’invitation ! Je m’appelle Lomig Perrotin et j’ai créé en 2013 la société Film Washi qui est tout simplement le plus petit fabricant de film photographique. J’ai souvent tendance à résumer mon travail en disant que « c’est comme Kodak, sauf que je suis tout seul ! ».
Peux-tu nous raconter ton histoire avec la photographie. Comment tout a commencé ?
A la base je ne me destinais pas du tout à la photographie, ma première vocation étant la gestion forestière, mais mon père est collectionneur et j’ai grandi dans une maison pleine d’appareils photos. Fatalement il devait y avoir un moment ou j’allais m’y intéresser et ce fût en 2000 quand avec trois amis on est parti faire un trip photo en Irlande du Nord. Au retour j’ai commencé à utiliser l’agrandisseur familial pour tirer les clichés que j’avais faits avec le vieux Zenit que j’avais emporté et… c’est comme ça que tout a commencé.
Quel rapport entretiens-tu avec la photographie ? Qu’est-ce que tu préfères dans le fait de la photographie argentique ?
Paradoxalement je fais très peu de photo ! En fait je n’ai quasiment jamais d’appareils sur moi et quand je prends des photos je ne retiens en général que deux ou trois clichés par bobine. J’aime le moment de la prise de vue, quand on prend la photo sans connaître le résultat, que tout semble possible et puis on passe à autre chose en attendant le développement. Il y a là un mélange d’oubli et de souvenirs qui est intéressant. Avec le temps je me suis rendu compte que ce qui me plaisais le plus dans la photographie argentique c’était ces notions de délais et de potentialité. C’est peut-être pour cela qu’aujourd’hui je préfère fabriquer du film pour les autres, parce qu’il y a un côté fascinant d’imaginer toutes les images qui, un jour, seront capturées sur ces films.
Et puis surtout… mes clients font de bien meilleures images que moi !
35mm, 120 ou alors 110 ? Un format que tu préfères ? Pourquoi ?
J’avoue ne pas avoir vraiment de véritable préférence, cela dépend surtout des conditions pratiques. En voyage j’utilise surtout du 135 parce que c’est plus compact. Pour des prises de vue plus pointues où j’ai besoin d’avoir un contrôle précis de l’image je passe sur un Mamiya RZ67 en 6×6, notamment lorsque je teste un nouveau lot de film que je viens de coucher. Et puis ensuite viennent les chambres 4×5′’ et 8×10′’ quand j’ai vraiment besoin d’un grand négatif.
Peux-tu nous parler de ton entreprise, Film Washi, créée en 2012 ? Comment t’es venue l’idée ?
A l’époque je travaillais sur un projet d'exposition de cliché-verre , une technique consistant à gratter le négatif pour obtenir une image mixte, mélangeant photographie et dessin. J’ai alors pensé qu’un négatif papier serait plus facile à travailler et j’ai commencé à expérimenter dans cette direction. Dès les premiers tests j’ai découvert une esthétique qui était en soit intéressante et c’est devenu un projet à part entière. Après avoir testé plusieurs type de papiers j’ai arrêté mon choix sur le papier japonais « Washi » car il offrait à la fois une bonne transparence du négatif, une excellente résistance à l’eau et de très belles fibres qui apportent une touche unique aux images.
J’ai donc commencé à explorer ce nouveau projet, d’abord de manière personnelle, puis petit à petit d’autres photographes ce sont intéressé à mes films artisanaux et en 2013 j’ai commencé à les vendre officiellement. Honnêtement je ne pensais pas que cela deviendrait un jour mon activité à plein temps !
Pourquoi avoir choisi d’adapter la technique du négatif papier ou Calotype de William Henry Fox Talbot et pas une autre technique ?
J’ai toujours été très intéressé par l’histoire du médium photographique et Fox Talbot a tout simplement inventé le concept de négatif et donc la reproductibilité de la photographie. Niepce avait bien réussi à obtenir une image négative mais il l’avait considéré comme un échec… En effet, à l’époque on n’imaginait pas la photographie autrement qu’en positif direct. Le calotype à été une révolution technique et conceptuelle. Quand j’ai commencé à faire mes premiers tests le choix d’un support papier était donc une évidence, d’autant plus que c’est un support beaucoup plus facile à coucher que le plastique ou le verre. De plus, j’avais besoin d’un support facilement compatible avec le format 120 que j’utilisais.
Peux-tu nous expliquer en quoi consiste cette technique ? Et sans nous dévoiler tes secrets, comment ça se fabrique une pellicule ?
Le Film « W » que je fabrique s’inspire du calotype sur le principe, mais la chimie est différente, cela se rapproche plus des premiers rouleaux Kodak qui étaient couchés sur papier. Concrètement, dans une chambre noire, sous éclairage rouge, on étale une couche d’émulsion photo-sensible sur une bande de papier japonais. Une fois sèche, cette bande est enroulée dans une bobine et… voilà ! En théorie c’est donc très simple, en pratique il m’a fallu plus d’un an d’essais et de tests avant d’obtenir un produit suffisamment stable pour être commercialisé.
En quoi Washi se différencie des autres marques de pellicule ?
Film Washi est actuellement la seule société à produire des films artisanaux couchés à la main. La base plastique des films classiques est spécialement étudiées pour être le plus neutre possible et ne pas interférer avec l’image. A contrario les fibres du papier traditionnel japonais utilisé pour le film « W » sont littéralement mélangées à l’émulsion photo-sensible et deviennent partie intégrante de l’image au moment même de la prise de vue.
Dans la gamme, tu as créé plusieurs types de pellicules, lequel tu préfères et pourquoi ?
Depuis le printemps 2015, j’ai effectivement lancé plusieurs autres pellicules en format 135, mais ce ne sont pas mes propres création. Ce sont des films qui existent déjà et qui sont fabriqués en usines, sur un support polyester classique, mais qui à l’origine ne sont pas disponibles en format 135 pour le grand public. Il s’agit de films techniques dédiés à la surveillance aérienne ou à des applications spécifiques du cinéma (enregistrement de bande son, amorçage de machine, etc.) et qui ont des qualités esthétiques intéressantes. J’ai donc décidé d’acheter de grandes quantités (on parle en kilomètres…) de ces films spéciaux et de les conditionner dans des cartouches 135 recyclées afin de les faire découvrir à un plus large public. Dans cette gamme j’ai un faible pour le Film « D » qui est un film issu de l’industrie aérospatiale Russe, peut-être parce que c’est celui qui à été le plus difficile à obtenir !
Qu’est-ce que tu préfères dans ton travail « d’alchimiste du film » ?
Le moment de coucher le film, lorsque l’on transforme une simple bande de papier en pellicule sensible, est toujours complètement magique. C’est un geste simple, constant et répétitif au point d’en être presque monacal, mais qui reste toujours unique.
Film Washi, c’est la plus petite entreprise de fabrication de film en France. Quelles sont les difficultés que l’on rencontre lorsque l’on se lance dans ce type d’aventure ?
D’une manière générale le marché de l’argentique repart à la hausse, mais il reste fragile car il dépend d’un nombre réduit de gros fabricants dont les usines sont dimensionnées pour d’énormes volumes de production. L’émergence de nouveaux acteurs comme Adox, Impossible, Film Ferrania ou New55 fait peu à peu évoluer cette situation, mais l’argentique vit actuellement une période de transition ou tout est possible, le meilleur comme le pire.
Dans ce contexte, Film Washi représente la plus petite fabrique de film au monde ! C’est un énorme avantage en terme de flexibilité mais comme une grosse partie de ma production est basé sur le recyclage, cela signifie également une dépendance de fait par rapport aux autres producteurs. A long terme le défi de Film Washi est donc de parvenir à autonomiser au maximum sa production afin de pouvoir continuer à fournir, quoi qu’il arrive, des pellicules aux amoureux de l’argentique.
Des conseils à nous donner pour bien utiliser les pellicules Washi ? Ou peut-être des recommandations ?
Il est important de bien lire la notice, elle sont disponibles en ligne, surtout avec les films artisanaux « W » qui sont particuliers à utiliser et développer. Ces films ont une émulsion orthochromatique qui n’est pas sensible au rouge ni au vert, ce sont donc des films parfaits pour le portrait ou la photo urbaine, mais pas pour le paysage.
Enfin, il ne faut pas hésiter en cas de doute à me contacter s’il y a des questions. Film Washi est une entreprise jeune, le feedback des utilisateurs est très important pour moi et je prends le temps de répondre à toutes les demandes qui me sont faites.
Des projets pour Washi en 2016 ?
Des projets j’en ai suffisamment pour m’occuper quelques années ! Pour 2016 je ne peux pas encore faire d’annonce « officielle », mais je bosse sur un gros projet pour septembre. Difficile d’en dire plus à ce stade mais… ça va être une petite révolution !
Un grand merci à toi Lomig pour ce moment passé en tant compagnie !
Pour en savoir plus sur les films Washi, vous pouvez vous rendre sur le site de la marque ou sur la page Facebook. Conquis ? Vous pouvez aussi vous offrir ces fameuses pellicules sur notre boutique en ligne.
écrit par mpflawer le 2016-05-17 dans #équipement #news #film #interview #washi #lomig-perroton
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