LomoWomen : Charlotte Abramow et le surréalisme photographique

Tout au long du mois de Mars, nous mettons en avant le travail photographique de femmes qui ont captivé notre attention. Ici, la photographe belge Charlotte Abramow nous enchante avec sa vision joviale et colorée du monde. Elle nous explique son rapport au corps de la femme, le pouvoir militant des images, et ses inspirations dans cet interview.

Bonjour Charlotte et bienvenue sur le Magazine Lomography. Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Charlotte Abramow, je suis belge, j’ai 24 ans, je suis artiste photographe et réalisatrice et j’habite à Paris. Je partage mon temps entre mes projets personnels et la réalisation de commandes.

Comment as-tu commencé la photographie, quelle place cela occupe dans ta vie aujourd’hui ?

J’avais reçu un 1er appareil jetable à mes 7 ans, je prenais des photos de mes copines à la cour de récré et de mes parents. Vraiment rien de sérieux, c’était plutôt un jeu mais au moins ça m’a permis de conserver quelques souvenirs à hauteur d’enfant ! Je m’y suis mise plus sérieusement à l’âge de 13 ans en 2006 après avoir reçu un petit appareil numérique Nikon. J’ai commencé par de la macroscopie, des photos de fleurs, de chats, de Converses… des autoportraits puis des portraits de copines, et ça s’est ensuite élargi. J’ai commencé à travailler à 17 ans. J’ai ensuite intégré Gobelins, l'École de l’Image en 2013 et eu mon diplôme après 2 ans de formation. Aujourd’hui, je dirais que ça occupe toute la place dans ma vie. Quand on a la chance comme moi de faire de sa passion son métier, on ne s’arrête jamais de travailler.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Je suis très inspirée par le surréalisme, l’intérêt pour le monde de l’inconscient et du rêve, pour les objets,… J’aime beaucoup la peinture abstraite notamment Joan Mirò. Ses couleurs composent ses tableaux que je trouve très marquants. J’aime énormément Magritte aussi, qui est vraiment un symbole du pouvoir de l’image. J’adore les livres photos. Je trouve aussi mon inspiration sur Internet, sur les réseaux… Mais aussi tout autour de moi, même dans la rue. J’aime la diversité des visages et des corps, l’improbabilité de certaines silhouettes.

Nous nous entretenons aujourd’hui à l’occasion de la Journée internationale de la femme et du Women History Month. Peux-tu nous parler de ton projet "Les Passantes" que tu as partagé le 8 mars ?

Les Passantes est donc une chanson de Georges Brassens qu’il a composé en 1972, dont les paroles sont un poème d’Antoine Pol écrit en 1911. C’est Christophe Coffre, Président de Création du groupe HAVAS Paris qui a eu l’idée avec Universal de faire clipper à de jeunes réalisateurs et réalisatrices, de vieilles chansons françaises afin de donner un nouveau souffle à toutes ces fabuleuses chansons qui dorment un peu dans des tiroirs. De les faire découvrir aux jeunes générations, grâce au support visuel qu’est le clip. On est venus me voir pour me proposer le projet comme une carte blanche, j’ai donc vraiment pu faire mon film de A à Z. J’ai voulu faire une pièce engagée, qui parle de femmes, de respect, de tolérance, de liberté et de diversité. Comme une ode aux femmes. Avec ce clip, je propose une interprétation des paroles de la chanson en écho avec les femmes, avec l’actualité, la parole qui se prend. J’ai pensé ce clip comme une invitation à l’ouverture d’esprit, à la bienveillance et à la tolérance.

Tu as un univers très coloré avec une pointe d’humour et tu fais à la fois des portraits, des photos de mode, des vidéos comme des projets plus personnels. Quand tu jongles entre ces différents projets, quel est ton rapport au corps de la femme ?

Mon rapport au corps de la femme ne change pas spécialement d’un projet à un autre, mais c’est plutôt son importance dans l’image qui est plus ou moins dosée. Je suis par exemple, beaucoup plus focalisée sur le corps dans des projets comme The Real Boobs, Claudette, Équilibre Instable, Bleu … Dans « Bleu », disons que j’ai une approche plus abstraite du corps que je traite alors comme un paysage ou une matière. Dans Dear Mother, c’est plutôt le langage du corps qui parle dans les postures des personnages, par rapport au propos tenu (ici, la complexité de la relation mère-fille, les tensions, se déchirer, revenir à l’autre,etc…). Une prochaine série, « Find Your Clitoris » aborde peut-être pour la première fois dans mes photos une vraie sexualisation volontaire. J’essaie, quoi qu’il arrive, d’avoir une approche ludique du corps. Dans tous mes projets, avec un regard graphique, j’aimerais parler de l’humain.

Nombre de tes projets parlent de la Femme et tu mets souvent des femmes en scène (des filles, des mères, des adolescentes, des grands-mères…) devant ton objectif. Mais que se passe-t-il derrière celui-ci ? Que penses-tu de la théorie du « female gaze » ?

Je pense qu'il est important qu’on répartisse la parole au maximum, et que le genre féminin ait l’opportunité de s’exprimer, de faire des œuvres où les femmes puissent avoir une voix, raconter un récit parlant de leur vécu. Que les femmes expriment leurs envies, leurs ressentis, leurs traumatismes, et les mettent en scène. C'est important que plusieurs vécus créent plusieurs films, photos, œuvres, etc… Et que des femmes proposent des regards sur les femmes. Je suis pour que tous les genres puissent s’exprimer, mais c’est aussi chouette de voir la force de proposition des femmes artistes. C’est aussi comment elles perçoivent la société, et en font ainsi un miroir d’un angle différent. C’est la curiosité d’un autre point de vue qu’on a sûrement moins vu, et qui vient bousculer le sexisme ordinaire qui, encore, trône dans beaucoup de représentations des femmes… Ici, les femmes se réapproprient leur image, et quelque part leur liberté. J’aime aussi dans mon travail, « désexualiser » la femme, ou du moins, mettre d’autres aspects en avant, même s’ils se rattachent parfois au corps. Le corps n’est pas forcément toujours un symbole de désir, d’attraction ou de sexualité et peut-être étudié sous tant d’autres aspects.

Le corps de la femme est soumis à une pression par les médias et l'industrie de la mode mais des courants comme le body positivism tendent à se développer. Qu'en penses-tu ?

Cela rejoint un peu le female gaze et l’invitation à élargir l’éventail des représentations plus sincères et authentiques. À mon sens, il n’y a que du positif dans l’envie de faire la paix avec son corps, de s’accepter pour être plus heureux.euse. Le body positivism n’a pas spécialement de genre, il fait du bien à tout le monde et invite à relativiser, mais ce n’est pas pour autant qu’il est si facile à appliquer. Cela nécessite du travail sur le regard que l’on porte sur soi, mais cela permet aussi de se concentrer sur d’autres choses de la vie et peut-être aller de l’avant.

En tant que femme photographe, quelle est ton expérience dans ce domaine ? As-tu l’impression que le genre a de l’importance ? As-tu des expériences positives ou négatives à partager avec nous ?

La société a une grande part de responsabilité dans l’apprentissage d’être un homme ou une femme. Donc, forcément, se créent pas mal de différences, d’impressions, de vécus différents. À ce titre, on peut estimer qu’un genre puisse déterminer un vécu dans la société actuelle telle qu’elle est construite, classant souvent les individus dans des cases. Je peux partager l’expérience positive qu’a été justement Les Passantes puisqu’Universal et Havas avaient vraiment la volonté de mettre une femme réalisatrice aux commandes de ce clip.

As-tu des conseils à donner aux jeunes femmes photographes ?

De ne pas se priver ni se mettre de barrières, d’aller au bout des choses même si cela demande travail, patience et courage, mais en vrai ce sont des conseils valables pour tous les genres ! Je dirais qu’il est important qu’on ait des jeunes femmes artistes, pour qu’elles apportent leurs témoignages et leurs projets. Je pense notamment au projet très intéressant de Laia Abril, « Histoire de la misogynie ». Ce genre de projet est motivant et montre qu’on a des choses à dire sur notre histoire.

Des projets pour 2018 ?

Mon projet principal est le « Projet Maurice », un projet que je réalise sur mon père, un petit bonhomme de 85 ans qui a traversé en 2011, un cancer, une opération et un coma qui lui ont laissé quelques séquelles. Cela a été très difficile mais il a vécu au fil des années une sorte de renaissance et a récupéré plein de choses qu’on croyait perdues à jamais. C’est un projet très positif que je veux proposer sur la maladie et ses conséquences sur la famille, et le témoignage du parcours de mon père. Je travaille actuellement sur la conception du livre et le montage d’une exposition. Cela prend un peu de temps car c’est un travail conséquent, mais j’y mets tout mon cœur. Vous pouvez en savoir plus ici ! :)

« They Love Trampoline » est un projet réalisé en juin 2017. C’est une série sur la rencontre des habitants des Îles Féroé afin de créer avec eux une mise en scène et un portrait absurde. L’humour est un ingrédient très intéressant pour créer un contact avec les inconnus et partager ensemble un chouette moment. Tout en créant des images. Cela devrait sortir avant cet été !

Sinon, j’aimerais avancer sur ma série « Les Enveloppes » que je fais en collaboration avec mon amie et ma maquilleuse de toujours, Ophélie Secq. Cela parle de la diversité des formes du corps féminin et de la curiosité que l’on peut développer. Nues et peintes entièrement en blanc, les femmes sont mises en scène comme des statues de marbre vivantes. On observe alors le corps, détaché de son côté charnel, comme une pâte malléable et assez fascinante. Ophélie et moi avons commencé le projet en 2016 et on doit encore shooter pas mal de femmes ! Vous pouvez apercevoir aussi le projet en vidéo dans « Les Passantes » de Georges Brassens.

Pas toujours facile de s’organiser mais je suis vraiment heureuse de tous ces projets en cours et j’ai hâte de pouvoir les partager. :)


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écrit par florinegarcin le 2018-03-30 dans #Gens #lomowomen #charlotteabramow

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