Pierre Cattoni: Une quête de la beauté ordinaire en Colombie

Pierre Cattoni est une jeune photographe parisien qui s'est passionné pour la photographie argentique et s'est forgé un style unique dans la capture de scènes de la vie quotidienne, dans les paysages et rues de ce monde. Il partage avec nous sa série issue d'une voyage en Colombie, qui nous a abasourdie par sa beauté simple. Dans cette interview, Pierre nous parle de sa tentative de transformer quelque chose d’inintéressant en une magnifique œuvre d'art, et ses photos ne laissent aucun doute quant au succès de cette démarche.

Pierre Cattoni

Bonjour Pierre, bienvenue dans le Magazine Lomography. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs et nous parler un peu de toi ?

J’ai 27 ans, je vis à Paris et je suis chef de projet au sein d’une maison de disques indépendante appelée tôt Ou tard.

Quand et comment as-tu découvert ta passion pour la photographie ?

J’ai découvert la photographie il y un moment déjà. J’avais 19 ans lorsque j’ai acheté mon premier reflex numérique. Depuis je n’ai jamais arrêté de prendre des photos, surtout lors de mes voyages.
Mais la photo argentique – j’ai acheté mon premier boîtier argentique il y a 3 ans seulement – est ce qui m’a vraiment transmis la passion pour cette activité. Mon appareil est devenu une sorte de meilleur ami qui n’est jamais très loin de moi depuis.
J’imagine que mon boulot a aidé aussi. Une partie de mon temps est destiné à la recherche de photographes et réalisateurs qui m’inspirent ou/et avec qui j’essaie de travailler sur mes projets. L’image au sens large est devenue très importante pour moi.

Pierre Cattoni

Qu'est ce que tu préfères dans la photographie argentique ?

La photo argentique a quelque chose de très puissant pour quelqu’un comme moi qui n’a pas grandi avec. Prendre une photo que l’on ne voit pas et attendre qu’elle soit développée et « révélée » provoque un sentiment assez étrange au début (entre stress et excitation) auquel je suis désormais assez accro. Je me suis aussi installé une chambre noire, où je fais souvent des tirages de mes meilleures photos N&B. Ce qu’il s’y passe est assez magique. Y rester une journée seul dans la quasi obscurité avec une petite lumière rouge, écouter de la musique et révéler des photos sur du papier… Tout ceci a quelque chose de très introspectif.
Autre chose avec un appareil ancien comme le mien comparé aux nouveaux modèles numériques, c’est que tu es techniquement limité. C’est beaucoup plus manuel et tu n’as pas 10 essais devant toi pour prendre LA photo parfaite. Il faut donc construire ton cadre, le penser. La contrainte te rend toujours plus créatif.

Pierre Cattoni

Qu'est-ce qui t'inspire ?

Je dirais que, partout où je me trouve, le quotidien et les lieux ordinaires m’inspirent. Je serais malhonnête de dire que je voyage pour voir des lieux ordinaires, ou que je ne suis pas content de photographier des paysages et des villes incroyables, MAIS ce qui m’inspire vraiment c’est ça. J’aime passer une journée de bus en bus, de stations en stations, au milieu de nulle part. C’est là où tu vois les vrais trucs, la vraie vie. Je trouve ça très grisant.
Je suis d’ailleurs toujours heureux lorsque je réussis à rendre quelque chose d’ « inintéressant » beau. Les photos peuvent dire beaucoup de choses différentes d’une même situation, selon le cadre que tu leur donnes. J’aime déformer la réalité quelque part et je cherche toujours à apporter un peu de poésie là dedans.
Les arbres m’inspirent vraiment aussi. Je ne sais pas exactement pourquoi. Mais il y beaucoup à faire avec eux : leur forme, leur façon d’attraper et de filtrer la lumière…

Pierre Cattoni

Es-tu toujours satisfait par les résultats ? Ou, pour le formuler autrement : dirais-tu que tu te sens à l'aise et confiant quand tu prends des photos, parce que tu es certain que l'image que tu viens de faire correspondra à ce que tu voulais ?

Je ne suis pas toujours satisfait avec mes résultats, mais de plus en plus. Je commence à savoir lorsque mes photos seront réussies et qu’elles sortiront comme je le souhaite. Mais c’est juste une question technique : bien connaître son matériel et ses films, et jouer avec.
L’argentique implique toujours une part de hasard cependant. Par exemple, j’ai perdu 4 films cet été, à cause d’un problème sur mon appareil. Mon obturateur était cassé, et je ne pouvais pas le savoir. Je l’ai donc découvert une fois chez le photographe. Toute la fin de mon voyage en Colombie n’existera jamais alors que j’ai bien ces photos en tête… Plutôt triste.

Pierre Cattoni

Quel appareil/pellicule as-tu utilisé pour cette série ?

J’ai utilisé un Nikon FE et deux focales fixes : un 50mm et un 85mm. Les photos N&B ont été faites avec des films Ilford Delta 100 et Kodak 400 TX, les couleurs avec des films Kodak Portra 400 et 160.

La série que tu as partagée avec nous vient d'un voyage en Colombie cet été. La photographie de rue est un art difficile —devoir toujours s'approcher des gens avec son appareil— comment as-tu vécu cela dans un pays étranger ? Comment as-tu procédé, et est-ce que cela t'a semblé différent que chez toi ?

Honnêtement, je suis plus en confiance lorsque j’approche des inconnus à l’étranger qu’en France. Etre dans la position du touriste aide parfois. Je voyage majoritairement seul, et je prends toujours du temps pour flâner et me perdre afin de devenir un peu plus invisible. Si tu montres du respect et demande la permission, les gens t’acceptent souvent. Il faut juste garder en tête les différences culturelles. Dans les pays musulmans par exemple, j’évite de photographier les femmes.
A ce niveau, la Colombie est plutôt un pays facile. Je n’ai pas eu de difficulté particulière à approcher les gens.

Pierre Cattoni

Un moment/souvenir particulier de ce voyage que tu voudrais partager avec nous ?

Le temps que j’ai passé dans le Choco, sur la côte Pacifique. Cette région est vraiment coupée du monde, sans internet, accessible par quelques routes… La seule façon de se rendre d’un endroit à l’autre est par bateau.
Je suis content des photos que j’ai prises là bas, car je trouve qu’elles en traduisent bien l’atmosphère si spéciale : un rapport au temps clairement différent, la jungle qui se jette dans l’océan…

Est-ce que ton style en photographie change selon le pays où tu prends tes photos ?

J’espère qu’il ne change pas trop car j’aimerais bien garder une marque personnelle. Tout du moins, j’essaie. Après bien sûr, les différents pays n’offrent pas les mêmes paysages, villes, cultures ou visages. J’imagine que mes photos Colombiennes n’ont pas grand chose en commun avec celles que j’ai prises en Iran. J’espère juste que mon regard reste le même.

Pierre Cattoni

Qu'est ce qui est important pour faire une bonne photo ? Comment choisis-tu tes sujets ?

Pas facile. J’imagine que j’ai besoin de trouver inspirant ce que j‘observe, pour une raison ou une autre tout du moins. Ca peut venir des gens, des paysages ou d’une architecture particulière. Mais aussi de la lumière qui apporte beaucoup à l’atmosphère générale. J’essaie toujours de prendre des photos qui transmettent ce que je ressens. Pour choisir les sujets, c’est pareil j’essaie de suivre mes sentiments. Je peux ne pas prendre de photos pendant plusieurs heures, même si je suis dans un bel endroit. Je n’y trouve pas nécessairement d’originalité, ou de façon personnelle de m’approprier le lieu. Et à l’inverse, je suis capable d’utiliser tout un film dans une seule rue !
Cependant, les matins tôt et les fins de journée, lorsque le soleil se couche, sont les meilleurs moments pour photographier. La lumière est à son top.

Quelle est ton image préférée de la série, et pourquoi ?

Pierre Cattoni

Il y a une atmosphère très spéciale dans cette photo je trouve, et pourtant c’est un simple paysage. Mais il raconte beaucoup de choses je trouve, et il y a de la poésie.

Quel conseil donnerais-tu à un jeune photographe qui vient seulement de découvrir sa passion ?

Je pense être un jeune photographe !
Mais je dirais tout de même : ne fais pas trop attention à la technique et à la meilleure façon de faire des images « parfaites ». Photographie autant que possible, histoire de trouver ce que tu aimes et ce que tu n’aimes pas. Et ainsi tu cultives ton truc à toi et donnes de la personnalité à tes photos. Tout le monde se fiche des photos carte postale, je crois.

Quels sont tes projets dans le futur, en rapport avec la photographie ?

Je pense déjà à mon prochain voyage. Et à côté, j’ai vraiment envie de prendre plus de temps à photographier Paris et sa banlieue proche. Pas le Paris touristique quoi.
J’aimerais aussi collaborer plus avec des artistes et des musiciens. Je serais tellement fier de voir l’une de mes photos devenir une pochette de disque un jour.

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2017-10-26 #Gens

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