Martin Colombet & le New Jupiter 3+ : portraits automnaux

Le talentueux Martin Colombet, spécialisé dans le portrait et le reportage pour la presse, nous a fait l'honneur de greffer le New Jupiter 3+ à son Leica M pour une série de portraits aux regards saisissants. Baignés par la lueur vespérale de ces fins de journées automnales, les visages qu'ils capturent se mettent à nu face à l'objectif et semblent nous délivrer, sans artifice, leurs secrets les plus intimes de manière saisissante.

Nom : Martin Colombet
Profession : Photographe
Site : www.martincolombet.fr
Réseaux Sociaux : Facebook, Instagram & Twitter
Appareil : Leica M type 240
Objectif : New Jupiter 3+

Hello Martin ! Comment vas-tu ?

Ça va ! J’ai le cou plus ou moins bloqué depuis un mois, donc je ne te cache pas que c’est quand même un peu merdique. J’ai aussi un coté babtou fragile, donc je suis le plus souvent pessimiste et tourmenté. D’ailleurs je crois que ça se voit dans ma photographie.

Est-ce que tu peux te présenter en 70 mots à la communauté Lomography.

J’ai 30 ans, je suis photographe et je vis et travaille à Paris, principalement pour la presse, en portrait et en reportage. Mes principaux clients sont Libération, Télérama, le M et Grazia, j’ai aussi travaillé avec Polka. Je dirais que même dans la presse, ma démarche est toujours très personnelle, je mets beaucoup de moi. J’ai d’ailleurs pas mal de difficultés à faire des concessions… J’aime bien quand Godard dit qu’il se définit comme un autiste de haut niveau. C’est pas pour me comparer à lui, mais simplement quand il dit ça, je comprend ce qu’il veut dire.

Raconte-nous ton histoire avec la photographie. Quel a été ton premier appareil et à quel moment exactement tu as choisi de faire de la photo ton métier ?

La photographie m’a un peu sauvé. J’étais nul à l’école, ma scolarité a été catastrophique et j’en ai beaucoup souffert. J’étais perpétuellement en décalage, agité, en colère, pas comme il faut. Perdu dans mes pensées et sans les moyens de mes rêves. J’ai été balancé dans un BEP technicien de surface. Sans la photographie et sans quelques rencontres importantes, aujourd’hui je serais soit coincé dans un métier à la con soit complétement en marge de la société. J’ai acheté mon premier appareil photo pour allez faire des photo en boite de nuit. On faisait ça avec un copain pour rentrer gratos en soirée et pour draguer les meufs. C’était un bridge Minolta je crois. J’ai choisi de devenir photographe pendant un voyage au Canada que j’ai fait à 21 ans. J’ai passé un mois dans une maison en bois face à l’océan, avec un couple de vieux. Être loin de tout m’a permis de prendre du recul et de me projeter.

Quels ont été les moments clés de ta formation et quelles ont été les rencontres qui t’ont marqué, tant d’un point de vue photographique que d’un point de vue personnel ?

Ma première formation a été de photographier des milliers de gens bourré avec des lumières pourries en boite de nuit comme je te disais. Même là, j’essayais de chercher une vérité chez les gens que je photographiais. Quand j’ai décidé de faire ça plus sérieusement, je me suis inscrit dans une école, à l’ETPA, à Toulouse. J’ai failli me faire virer dès la première année, j’arrivais séché tous les matins car je bossais à Mac Do à coté, mais deux profs qui croyaient en moi m’ont sauvé et m’ont fait passer directement en 3ème année. Là, j’ai rencontré Pierre Barbot qui animait l’atelier, il m’a aidé à passer pas mal de paliers. Après, j’ai fait une rencontre déterminante avec Stéphane Lavoué, qui est un très bon photographe. Je l’ai assisté pendant un an, j’ai beaucoup appris à ses cotés. J’aimais beaucoup sa sensibilité, on a 15 ans d’écart mais on se comprenait bien, on voyait les choses de la même façon. Il y a aussi la rencontre avec le travail de certains artistes : Avedon , Bashung, Mano Solo ou même Bach. J’avais une prof de piano qui disait souvent « Bach m’a sauvé la vie ». Ça fait gagner beaucoup de temps en tous cas.

Ton travail a été récompensé (Bourse du Talent #54 et la mention spéciale du Jury au grand Prix de l’ETPA 2010). Peux-tu nous montrer les photos qui ont été primées et nous raconter leur histoire ?

J’ai été finaliste deux fois à la bourse du Talent, avec « Les Regards de Marco » une série sur l’amitié et l’intimité, faite à la chambre 13x18 en calotype, et une série de portrait dans « un Squat Africain », faite à la chambre aussi. Pour la mention spéciale du Jury, je l’ai gagnée principalement grâce un travail sur un Squat Anarchiste Autonome à Toulouse.

« J’ai beaucoup aimé travailler dans les squats, avec les rebuts de la société. Je m’y sens plutôt bien je dois dire. Ces gens ont souvent bien plus à donner que la plupart des stars ou des politiques que je peux parfois photographier. Faire des portraits de ces gens, c’est prendre des coups de poings dans la gueule, c’est d’une intensité incroyable. »

Tu représentes Hans Lucas. Comment ça se passe lorsque l’on travaille dans une agence ?

Normalement, c’est plutôt Hans Lucas qui est censé me représenter. Les agences, c’est devenu un peu bizarre. Aujourd’hui, très peu sont en mesure de rapporter du travail, directement et même indirectement. Les agences, bouleversées par les révolutions technologiques et économiques, sont devenues trop faibles pour défendre les photographes et la photographie, on ne sait plus trop ce que ça apporte. Ça permet quand même de revendre ses photographies, et avec Hans Lucas c’est cool car les conditions sont très avantageuses. Ça permet d’être un peu plus identifié. Pour le reste, même si je vais me faire taper sur les doigts, je dirais que globalement ça sert à rien.

Peux-tu nous parler de ton métier de photographe. Et si ça existe, nous décrire une journée type ?

Pour ma part, c’est un équilibre constant entre la recherche de la satisfaction artistique et des nécessités plus triviales, matérielles. Je voudrais faire plus que des trucs vraiment personnels, faire des expérimentations, des recherches, mais c’est pas vraiment là où se trouve l’argent. J’ai la chance de travailler pour de bons clients qui me laissent libre, qui ont une exigence photographique et qui viennent me chercher pour ce que je sais faire. C’est la seule façon que j’ai trouvé pour accepter de faire de la photographie comme un moyen et non comme une fin. Faire de la photographie, c’est pas comme fabriquer des chaussettes ou des moules à gaufres. Il faut se nourrir constamment, aiguiser sa sensibilité, et mettre tout ça dans sa photographie. Personnellement je trouve ce processus épuisant, voire douloureux, mais c’est toute la valeur ajoutée du photographe. Si tu n’a rien à dire, il faut mieux faire autre chose. Malheureusement, dans une journée type, beaucoup de trivialité : bureau, réseaux sociaux, compta, prise de rendez vous, retouche. J’aimerais souvent que la photographie prenne plus de place.

Tu es l’heureux propriétaire d’un Leica M. Pourquoi avoir choisir ce boitier en particulier ?

C’est un outil avec lequel je suis à l’aise, ça me parle. J’aime son esthétique et l’esprit de la marque. C’est un boitier lourd, en laiton, équipé du strict minimum, sans bouton ou menu inutile. C’est noble, c’est fluide, et je pense que ça me pousse à faire des trucs supérieurs. Si tu es pianiste, penses-tu que tu joueras de la même façon sur un Steinway de concert dans une église du 11ème siècle ou sur un clavier numérique dans une grande surface ? Ça me stimule, ça produit du sens pour moi. D’un point de vue plus pratique, ce sont clairement les meilleurs facteurs d’optiques, et j’adore travailler au télémètre. La composition est à la fois plus instinctive et plus mentale, car on ne voit pas la profondeur de champ. Ça redéfinit pour moi les plans qu’on a envie de rendre important, et pas toujours le premier plan, comme c’est souvent le cas avec un autofocus. Il est aussi très discret, il n’effraye pas les gens et ça me permet de travailler lentement. Longtemps j’ai ressenti le besoin de me ralentir, surtout en portrait ou j’avais tendance à trop déclencher. Je peux l’utiliser dans mes errances sans être encombré, je l’ai toujours avec moi. Et puis il y a un rendu Leica, surtout dans les poses lentes.

Pourrais-tu nous parler de ta démarche et de la « façon » dont tu réalises, façonnes tes portraits ?

J’ai une définition assez restrictive du portrait. Pour moi c’est comme ça : une photographie de quelqu’un qui sait qu’il est photographié, une photographie qui doit chercher une certaine vérité sur le personnage, c’est une vision assez psychologique. J’ai aussi une démarche assez humaniste dans le sens où je considère que le sujet doit participer à sa représentation. Je connais certains portraitistes qui pensent que le portrait, c’est comme de la nature morte, et que les gens qu’ils photographient se résument à une tronche, un morceau de viande qu’il faut éclairer. Je pense de mon coté qu’il faut réussir à intégrer l’histoire de la personne, son vécu, et qu’il faut trouver un équilibre entre ce que le photographe veut projeter et ce que le sujet veut donner. Parfois évidemment, pour que l’équilibre soit respecté il faut engager un rapport de force, c’est souvent le cas avec les politiques ou de façon plus générale avec les gens qui veulent utiliser la presse pour faire leur com'.

« On est là pour retranscrire ce qu’on a ressenti, pas pour rendre le type sympa et décontracté. Ça peut parfois être violent, mais je ne suis pas le plus mauvais quand il faut jouer au con. J’aime bien aussi la phrase de Richard Dumas qui dit que la photographie doit délivrer un secret. »

Quelles sont les difficultés qu’un photographe portraitiste peut rencontrer ?

L’asséchement morale et artistique. Il peut aussi se retrouver avec des sujets compliqués qu’il doit savoir manœuvrer. Il y a peu de difficultés à mon sens, seulement quand la personne en face n’a rien à donner. Soit parce qu’il est vide ou soit parce qu’il n’a aucune envie. C’est une forme de relation, le photographe ne peut pas tout faire seul.

Aurais-tu d’ailleurs des conseils à donner à notre communauté pour maîtriser l’art délicat du portait ?

Ne faite pas votre culture photographique dans les magazines ou dans les journaux, mais dans les livres, les expos et les musées. Regardez les portraits de Richard Avedon, Diane Arbus, August Sanders. Dans les vivants, cherchez du coté de Richard Dumas, Patrick Swirc, Stéphane Lavoué ou Julien Mignot.

Peux-tu nous parler de ce parti pris du portrait de face dans ton travail ?

C’est une façon de faire confiance à ce que peut porter un personnage. C’est comme avec les mots, ils ont un sens qui leur est propre, ça sert à rien que le comédien qui porte le texte en fasse des caisses. C’est une façon de réduire. En portrait c’est pareil, pas besoin de mettre les bras derrière la tête du type ou de lui donner des airs qui n’existent pas dans la vie. C’est une façon de rester simple, direct. Après il y a des photographes qui trouvent des choses intéressantes dans le mouvement, à mon sens ça peut être intéressant si le sujet ne devient pas acteur.

Avant d’appuyer sur le déclencheur, quelle est la première chose à laquelle tu vas penser ?

J’essaye de ne pas trop penser. Je me concentre et j’essaye d’avoir une vision globale sur les choses, j’essaye d’être instinctif, d’écouter ce que je ressens. J’essaye d’être pas trop désagréable, car j’ai déjà « violenté » des gens comme ça, surtout quand on dirige beaucoup. En étant trop concentré sur la lumière et les formes dans le cadre, on peut louper des signes d’anxiété ou de stress. Et je regarde surtout. Il faut beaucoup regarder. Percevoir les signes, regarder la lumière et les détails. Un détail peut tout gâcher.

Une rencontre, un moment lié à ton travail qui t’a particulièrement ému et dont tu gardes un souvenir fort ?

A vrai dire pas vraiment. Comme je te dis, quand je photographie je suis très concentré, et il y a rarement l’espace nécessaire pour le souvenir. J’ai des anecdotes marrantes sur certaines actrices ou certains politiques, mais pour les souvenirs, c’est plus souvent du coté des boulots perso, au Squat par exemple. Quant un mec attend plusieurs semaines pour te laisser photographier son torse lacéré dans des conditions douteuses, c’est fort, ça a du sens.

Tu as eu l’occasion d’utiliser le New Jupiter 3+ pendant quelques semaines. Quelles ont été tes impressions lorsque tu l’as utilisé pour la toute première fois ?

Je l’ai trouvé assez beau et lourd. Au début j’ai été un peu déstabilisé par la course très longue, mais j’ai rapidement trouvé mes marques. J’ai vite aimé la bague de diaph' sans cran, très fluide et sur le tout devant du fût. J’ai été aussi assez saisi par les flous très prononcés qu’il génère.

Pour quel type d’utilisation recommanderais-tu cette optique ?

C’est un 50 mm, donc pour le portrait c’est une très bonne focale à mon sens. Je le recommanderais pour une utilisation artistique. Il produit des effets que les différentes marques se sont efforcées de corriger et que pourtant les photographes aiment souvent : flair, vignettage prononcé, couleur un peu louche. Je trouve que le piqué est bon et que les aberrations chromatiques sont très limitées. Les traitements chromatiques des lentilles produisent des effets très intéressants. Pour une utilisation plus pro à gros enjeux, je serais plus prudent, car il peut réserver quelques surprises de rendus.

Qu’est-ce que tu préfères chez le New Jupiter 3+ ?

Son rendu atypique, assez différent de ce qu’on peut trouver sur le marché actuel. Il n’est pas très cher pour la qualité des images qu’il produit. Je pourrais le préférer même à des optiques Zeiss ou Voigtlander.

Peux-tu nous parler de ton expérience avec l’objectif ?

Je l’ai trimbalé pendant presque un mois. J’ai cherché à utiliser au maximum son potentiel artistique, c’est à dire à travailler en couleur, avec des fonds contextualisés qui offraient beaucoup de champs. Je voulais voir ce qu’il a dans le ventre

Qu’est-ce que cet objectif a apporté à tes photos ?

Un certain caractère. J’ai cherché à utiliser ses particularités plastiques pour créer un univers un peu irréel et coloré.

Pourrais-tu nous parler de ta série. Des visages et des lieux qui ont croisé l’objectif.

Quand tu m’as parlé de me prêter cette optique, j’ai tout de suite eu envie de faire quelque chose spécialement pour ça, de faire quelque chose qui soit cohérent et intéressant. Je l’ai utilisé à Paris et en Bretagne où je suis allé quelques jours. J’ai choisi de réaliser des portraits de gens que je connais en extérieur. J’ai fait mon petit casting et je suis allé au parc de Belleville. C’était la fin de l'automne, les arbres étaient encore jaunes et rouges pour la plupart. Il y a eu plusieurs semaines de soleil en décembre. Vers 15/16h, la lumière commençait à être vraiment basse et perçait une espèce de brume blanche, typique de l’hiver à Paris. Le parc est exposé plein sud, la lumière était vraiment intéressante et directionnelle, ce qui donnait pleins de possibilités. J’ai travaillé quasiment toujours dans les mêmes horaires.

« J’aime beaucoup l'automne, c’est la fin de l’été, c’est triste et beau. »

Travailler dehors, c’est parler du vent, du froid, du soleil sur la peau. C’est une approche assez sensuelle. J’ai assez peu dirigé les personnes. L’idée, c’était de faire de la photographie pour ce que c’est, sans chercher à expliquer une histoire ou un contexte. Comme dans le travail, j’ai des démarches plus journalistiques ou documentaires, j’aime bien dans le perso faire des photos qui ne servent à rien. A rien d’autre que d’être là et d’exister.

Un livre de chevet ?

En ce moment Capitale de la douleur de Paul Eluard et La Vie Matérielle de Duras.

Un portrait/une photo qui t’a récemment marqué ?

Mon ami Arno Brignon est venu me montrer son nouveau livre Based on a true story qu’il a fait dans le cadre d’une résidence dans les Pyrénées, c’est vraiment très beau.

Lomography, ça rime avec ?

Je préfère quand les choses ne riment à rien.

Des projets en 2017 ?

J’aimerais me concentrer sur les portraits, et l’amorce d’un travail sur les États-Unis peut-être.

Un dernier mot ?

AMEN


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écrit par mpflawer le 2017-02-07 dans #portrait #photo #leica #new-jupiter-3 #art-lense #objectif-leica #martin-colombet

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