Dans le brouillard : Interview avec Montague Fendt

Une importante pollution de l'air, et les risques sanitaires qui en découlent, continue d'obstruer le ciel chinois. A Pékin, la capitale du pays et troisième ville la plus peuplée au monde, consulter quotidiennement l'index de qualité de l'air (AQI) ainsi que porter des masques ou installer des filtres chez soi est devenu la norme pour les citoyens. A travers sa série Wu Da!, le photographe Montague Fendt documente l'alarmante situation de la ville où il vit, victime de son urbanisation et de son industrialisation.

Il nous en dit en peu plus sur ces images de sensibilisation dans cette interview.

AQI187. Photo de Montague Fendt.

Salut Montague ! Merci de nous accorder cette interview. Dis-nous en un peu plus sur toi et sur ce que tu fais.

Mon nom est Montague Fendt. Je suis né dans l'air pur de Basel, en Suisse, et je vis désormais à Pékin depuis 2003. Ce qui avait commencé à la base comme une année d'échange pendant mes études en vidéo s'est finalement transformé en un séjour de longue durée, au travers d'une relation d'amour et de haine avec cette ville. Je travaille principalement en tant que réalisateur et directeur de la photographie dans la publicité et les courts métrages, mais au cours de ces dernières années, je me suis également mis à documenter la vie et les changements de la capitale chinoise avec mes vieux appareils photos.

(L) AQI292 (R) AQI302, and AQI367. Photos de Montague Fendt.

Parle-nous de ta série Wu Da!. Comment as-tu eu l'idée, puis commencé ce projet ?

Wu Da! (雾大) veut dire 'lourd brouillard’ en chinois. C'est aussi une réponse que vous entendrez beaucoup dans la capitale si vous interrogez les gens sur le temps. Mais ce "brouillard" n'a pas grand chose à voir avec l'humidité. La pollution de l'air à Pékin est tristement célèbre du fait de sa gravité. C'est l'un des pire cas qui existe au monde, et le fait d'y vivre vous permet d'y assister au premier rang. D'un point de vue purement visuel, cela crée une esthétique intéressante. Une lumière douce, diffuse, qui recouvre tout le paysage urbain à la manière des signes annonciateurs d'une tempête hivernale. C'est très intéressant d'un point de vue photographique. Cette série en devient partiellement une étude des couleurs, des textures et des contrastes ; des prises de vues architecturales se noyant dans la brume, avec une palette surréaliste de couleurs et de couches : des oranges acides, des verts mystérieux, des jaunes pâles et beaucoup de nuances de gris.

Comment as-tu choisi les jours, les lieux et les occasions durant lesquelles prendre ces photos ?

La plupart des matins, je me réveille avec le bourdonnement de mon filtre à air. C'est un objet vraiment commun pour les gens qui, comme moi, vivent à Pékin. De la même manière qu'ailleurs les gens consultent la météo, les pékinois consultent la qualité de l'air sur leur téléphone. L'indice qui sert à la déterminer (AQI) est établi sur une échelle allant de 0 à 500, variant selon la mesure de différentes particules de pollution dans l'air. Lors d'une journée moyenne dans ma ville natale, à Basel, l'AQI se situe environ à 10 ; 150 pour un jour de grande pollution à Los Angeles. A Pékin, la moyenne annuelle se situe autour de 179, avec des variations records atteignant 879, dépassant le plafond de mesure. Tout ce que j'ai à faire, c'est jeter un œil à mon portable au réveil. Si l'indice est élevé, c'est que c'est le bon jour pour moi.

(L) AQI372 and AQI387 (R) AQI399. Photos de Montague Fendt.

Au-delà d'être une documentation de la situation atmosphérique alarmante de Pékin, tu as mentionné le fait que Wu Da! sert aussi "d'étude des couleurs, des textures et des contastres". D'une certaine manière, c'est un moyen de trouver un aspect positif dans une situation pourtant désespérée. Quelle est ta posture là-dessus ?

Oui, vous avez raison. Je pense que, en tant qu'artiste, on capture et documente la vie telle qu'on la voit, et qu'il y aussi de la beauté dans la désolation et le désespoir. Jusqu'à aujourd'hui, je continue d'être impressionné par le monde surréaliste que je vois lorsque je regarde par la fenêtre. C'est une source d'inspiration pour moi et je ne peux m'empêcher de vouloir partager ces vues avec d'autres passionnés pour leur montrer que la tristesse peut aussi être source de créativité.

Quel a été le plus grand défi dans la réalisation de cette série ?

Généralement, j'ai une image assez claire de ce que j'attends de mes images, de ce à quoi je voudrais qu'elles ressemblent. Je pense qu'à partir de là, le plus gros challenge est de trouver un angle qui me convient. A la différence de Shanghaï ou d'autres métropoles, Pékin possède peu de rooftops ou de terrasses accessibles. Or, pour cette série, j'aime prendre mes photos depuis une certaine hauteur pour capturer la ville en plongée avec des lignes définies. Du coup, je n'ai pas d'autres moyens que d'escalader les toits, d'infiltrer des bureaux ou des appartements qui donnent exactement sur la vue que je veux photographier, de soudoyer des gardiens, de faire du repérage architectural, etc.

(Top) AQI411 and AQI413 (Bottom) AQI420 and AQI453. Photos de Montague Fendt.

D'un point de vue extérieur, il est difficile de s'imaginer les conséquences de la qualité de l'air sur la vie quotidienne. Habitant dans la ville depuis plus de 10 ans, peux-tu nous parler un peu de la manière dont cela affecte la vie de tous les jours ? Quelles précautions prennent les citoyens pour combattre les effets alarmants de cette pollution ?

Il y a peu de gens ici qui ne disent pas ressentir les effets de la pollution. Les stations de mesure autour de la ville envoient des alertes lors des pics de pollutions, le gouvernement demande parfois aux citoyens de rester chez eux si possible, de porter des masques et de se retenir de faire du sport ou des efforts physiques. Les autoroutes sont fermées pour cause de mauvaise visibilité, les écoles et les bureaux n'ouvrent pas... En tant que citoyens, on fait le nécessaire : fermer les fenêtres, mettre son masque, régler les filtres à air au maximum. Ça fait partie de notre quotidien pour les deux tiers de l'année. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser : est-ce vraiment ce qui nous attend pour l'avenir ?

(L) AQI478 and AQI491 (R) AQI499. Photos de Montague Fendt.

Qu'est-ce que tu espères accomplir avec cette documentation ?

Toutes les photos ont été prises sur des films celluloïd. Je voulais un rendu très pur, montrer le brouillard avec réalisme et onirisme. Pas de filtres, de recadrage ou d'ajustements, juste de la photographie classique. J'ai nommé les photos en fonction de l'indice de pollution au moment où je les ai prises. C'est avant tout un projet personnel, mais il y a une vraie urgence dans la situation. La pollution cause des maladies et son impact sur l'environnement affecte non seulement la Chine mais aussi le monde. J'espère arriver à sensibiliser des gens sur le sujet, et je continue d'exposer "Wu Da!" dans des forums liés à la question de la pollution de l'air, dans des expositions et des galeries quand j'en ai la possibilité.

D'autres projets sur le feu ?

Ça fait 13 ans que je vis en Chine et j'ai beaucoup appris ici. J'ai du faire face à quelques challenges mais j'ai aussi vécu des expériences gratifiantes et noué des amitiés qui ont façonné la personne que je suis aujourd'hui. Je pense partir bientôt, pour trouver de nouveaux lieux et projets intéressants. Il y a tant à voir. Après de nombreux projets commerciaux, j'aimerais mettre mon expérience à profit pour shooter la vie et mener des projets plus personnels. Je veux élargir mon portfolio avec des portraits, du nu et de la photo de rue tout autour du monde.

(L) AQI500 (R) AQI500 and AQI643. Photos de Montague Fendt.

Toutes les images et informations dans cet article ont été fournies à Lomography par Montague Fendt et utilisées avec sa permission. Découvrez son travail sur son site et suivez-le sur Instagram et sur Facebook.

écrit par Eunice Abique le 2017-01-10 dans #Gens

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