Photographier avec ses émotions : une interview avec Kayla Varley

Kayla Varley a grandi dans une petite ville au centre de la Californie. Elle a toujours su qu’elle voulait découvrir le monde et l’explorer à travers la photographie. Lorsque elle était enfant, la photographie constituait pour elle une échappatoire vers un monde différent, un monde dans lequel les instant furtifs sont immortalisés pour toujours. Dans cette interview, Kayla nous parle de son rapport aux émotions et du rôle que cela joue dans son travail.

© Kayla Varley

Tu prend des photos depuis que tu es petite, comment a évolué ton style et qu’est ce qui l’a influencé ?

En effet, je prend des photos depuis que j’ai 12 ou 13 ans. Lorsque j’étais plus petite, j’utilisais des appareils jetables puis mon père m’a offert mon premier appareil numérique lorsque j’avais 13 ans. Ce n’était pas un appareil extraordinaire, mais il m’a ouvert des possibilités créatives incroyables. Mon père a remarqué que la photographie me plaisait beaucoup, je le remercie d’avoir encouragé cette vocation chez moi et de m’avoir laissé le temps de pratiquer, même lorsque j’étais jeune. Je me rappelle à l’époque avoir été inspirée par beaucoup de portraits et de photos de mode. J’adorais le travail de Cass Bird, Sally Mann, Ryan McGinley, Richard Avedon. Je prenais beaucoup d’auto portraits, de photos de mes amis… bref je documentais ma vie d’adolescente (rien d’exceptionnel), mais cela m’a permis d’exprimer et extérioriser mes émotions de façon saine. J’ai grandi dans une petite ville au centre de la Californie, il ne se passait pas grand chose, la photographie était un moyen de m’échapper. Je pense que petit à petit mon style à évolué et est devenu un peu plus poussé, plus raffiné. La manière dont je shootais quand j’étais jeune se rapprochait plus du fait de rendre compte de ma propre vie et de ce qui m’entourait. Quand j’étais plus jeune, je voyais des choses, je voulais capturer ce qui arrivait, maintenant ces circonstances sont pour moi un moyen d’exprimer ma créativité de façon intentionnelle.

© Kayla Varley

Chacune de tes photo représente un moment, une personne, une émotion particulière. Pense tu que cela constitue l’essence même de la photographie ?

Les personnes, les émotions, les différents moments constitue une grande partie de ce qu’est la photographie, tout du moins pour moi. Je suis sûre que certaines personnes voient les choses différemment. Les émotions sont le fil conducteur de mon travail, elles m’inspirent. Elles me permettent de me connecter à mes sujets, ce sont des moments qui me sont très chers. Certaines personne partent, d’autres restent, certaines ne sont même pas dans le cadre de la photo, mais je peux sentir leur présence. J’ai des souvenirs très forts liés à certaines images. Certaines me donnent les larmes aux yeux, me rendent nostalgiques : ce sont celles que je préfère. Je me demande si tous les photographes ressentent ça. J’ai l’habitude de regarder de vieilles photographies et de ressentir des émotions très fortes, je me sens presque triste de ne plus vivre ces moments, et puis je réalise à quel point c’est important de rester concentré sur le présent. Tout est si volatile, j’imagine que c’est pour cela que j’aime capturer le moindre moment, car je sais qu’il va s’envoler.

© Kayla Varley

Lorsque tu essais de capturer l’instant parfait avec ton appareil, quelle est la première chose qui te vient à l’esprit ?

En général, la première chose à laquelle je pense, c’est de me souhaiter à moi même de ne pas rater ce cliché. Je veux être toujours prête à saisir l’instant parfait Si il y a une bonne énergie qui se dégage du sujet, que c’est le bon timing, je suis totalement absorbée dans le moment, parfois jusqu’à oublier que je suis entrain de shooter. C’est un état d’esprit assez génial. Parfois, les choses se passent naturellement, et la seule chose que vous pouvez faire, c’est être préparé. Selon moi c’est important d’être ouvert, d’être calme, de laisser les choses se faire, d’être reconnaissant et de se laisser emporter par l’instant présent.

Qu’est ce qui t’inspire ? A quoi ressemble ton processus créatif ?

Il y a beaucoup de choses qui m’inspirent, le quotidien, ces moments de flottement. La solitude aussi m’inspire, tout comme les gens et les connections que l’on créé. Lorsque les gens sont eux même, lorsque ils s’impliquent à 100% dans le moment présent, c’est une source d’inspiration perpétuelle. Ce sont mes sujets favoris, ces gens qui me font confiance, me laissent faire parfois l’imbécile et en rient avec moi. Je veux que mes sujets se sentent à l’aise et puissent ainsi se donner pleinement à l’appareil photo. Mon processus créatif se déroule en fait au moment du shooting. Je ne suis pas du tout une artiste stricte, je suis plutôt désordonnée. Je préfère être seule lorsque je retouche mes photos, cela me permet de m’absorber complètement dans cette tâche. Avant de shooter, j’essaie le plus possible de penser à ce que je veux faire. C’est un bon début quand j’ai trouvé la bonne personne et le bon spot, ensuite cela me laisse juste l’espace de liberté dont j’ai besoin pour créer. Après le shooting, je passe par des période de hauts et de bas, je me met à détester mes images et ensuite je les adore, c’est un peu les montagnes russes !

Comme tu shoot beaucoup de portraits, tu travailles avec beaucoup de personnes différentes. Qu’est ce qui fait que la connexion entre le photographe et son modèle est parfaite ?

J’aime les gens, j’aime le fait de découvrir leur personnalité. Je pense qu’une connexion absolument parfaite est dure à trouver, mais quand les choses se passent bien, c’est parce-que le photographe comme le modèle s’ouvrent l’un à l’autre, se font confiance pour jouer ensemble la même partition. Lorsque les gens sont eux-même, la connexion est plus forte.

© Kayla Varley

Tu as shooté une série de photos montrant des femmes dans leurs moments intimes. Comment te sens-tu par rapport à la notion d’intimité ? Penses-tu que les femmes puissent avoir peur de montrer les véritables facettes de leur personnalité à cause des standards qui sont imposé aujourd’hui aux femmes quant à leur apparence et à leur façon de se comporter ?

Ces moments que j’ai partagé avec toutes ces femmes inspirantes sont très chers à mon cœur. Parfois je me demande pourquoi j’ai autant de chance de réussir à me connecter à elles comme je le fais, à un niveau si personnel. Tout ce que je veux, c’est raconter une histoire et leur offrir un espace d’expression de leur véritable personnalité. Très souvent la société nous envoie un message selon lequel intimité = sexe. Cela ne devrait pas être le cas. Certaines personnes fuient sans cesse leur dimension intime, mais ce n’est pas possible de véritablement créer de liens lorsque l’on est autant sur ses gardes, ce n’est pas possible d’évoluer non plus. Nous devons nous ouvrir à ces moments d’intimité, ils sont très importants. Je ne pense pas que les femmes devraient avoir peur de montrer leur véritable personnalité. Lorsque l’on s’autorise à être soi-même, sans en avoir peur, c’est très enrichissant. J’espère qu’un jour la société sera telle que les femmes ne seront pas obligées de penser autant à leur apparence et à leur comportement, nous avons le droit de faire ce que bon nous semble !

© Kayla Varley

Tu fais de superbes photos de mode et de lifestyle. Qu’est e qui t’as amené à travailler dans ces domaines ?

Je pense avoir toujours gravité assez naturellement autour des domaines de la mode et du lifestyle, mais pas de manière internationale. Le Lifestyle m’est venu assez naturellement, quand j’étais jeune. Je ne savais même pas que cela s’appelait comme ça. J’ai tout simplement commencé à photographier mes amis et nos aventures. J’aimais le fait de pouvoir conserver ces moments précieux avec des êtres qui m’étaient chers. Je n’ai pas décidé du jour au lendemain de commencer à shooter des photos de mode, mais j’ai commencé à être attirée par ce domaine grâce à cette connexion qu’il était possible d’établir avec mes sujets, cette proximité que j’arrivais à atteindre. La mode m’a toujours semblé élitiste et inaccessible, je voulais pouvoir photographier des vêtements, des coupes, des formes d’une manière qui me semblait proche du réelle et accessible à tous.

© Kayla Varley

Qu’est ce qui est le plus dur le plus dans ton métier de photographe ? Qu’est ce qui te fais sortir de ton lit tous les matins ?

Je dirais que ce qui ce qui est le plus difficile, c’est le fait de se faire violence et de trouver le courage de retourner shooter après un blocage créatif. Aller de l’avant dans ces moments où l’on ne se sent pas la force de prendre son appareil photo, c’est assez dur. J’ai toujours l’impression que je n’y arriverai pas. Ce qui me motive, c’est ce désirs d’utiliser mes émotions pour entrer en connexion avec mes sujets. Je veux connaître leurs moments difficiles, leurs moments heureux, je veux être une épaule lorsque c’est nécessaire, lorsque les gens ont envie de laisser aller leurs émotions. Mes photographies sont un procédé émotionnel, je ne me sens pas bien tant que je ne suis pas en train de créer quelque chose.

© Kayla Varley

Tu travailles à la fois en numérique et en argentique. Tu as une préférence ? Pourquoi aimes-tu ces deux techniques ?

Aujourd’hui, je préfère le numérique, les possibilités sont infinies. J’aime le fait de pouvoir faire prendre n’importe quelle direction à mes photos. J’adore les retoucher, cela me passionne. C’est aussi une forme d’art à mon sens. La photographie argentique est très émotionnelle, les sensations sont très différentes. J’adore ça, mais c’est un peu compliqué pour moi de gérer les question liées au coût et au temps de traitement et de développement.

© Kayla Varley

Tu étais très jeune lorsque tu a déménagé à Los Angeles pour tes études. Quel conseil donnerais-tu à un photographe qui souhaite se lancer ?

Si je pouvais me donner un conseil à moi même, ça serait de ne pas me précipiter. Et d’arrêter de m’inquiéter ! Le fait de déménager si jeune fût à la fois tellement terrifiant et exhaltant, j’étais si contente de partir vivre dans un endroit aussi stimulant et de sortir de ma petite ville. Au début, j’avais peur de ne pas arriver à me débrouiller et à percer en tant que photographe d’autant plus que ne m’étais pas donné d’autres options. J’étais très impatiente et je perdais parfois un peu espoir. L’université dans laquelle je suis allée était une très bonne école d’art privée, mais j’ai arrêté au bout d’un an pour exercer en tant que photographe freelance car je ne pouvais pas continuer à la payer. Je suis restée à Los Angeles et j’ai trouvé des petits boulots pour joindre les deux bouts. J’ai passé beaucoup de temps à stresser, à me demander si j’avais fait le bon choix. Quand j’y repense, c’était probablement la meilleure décision que j’aurais pu prendre et je suis heureuse que les choses se soient passées comme ça car j’ai appris beaucoup de choses en un court laps de temps, cela m’a vraiment fait grandir.

© Kayla Varley

Dans cette interview, tu nous dit que le plus important dans la vie c’est de rester fidèle à soi même et de ne jamais abandonner. Tu pense que c’est la clé du succès et du bonheur ?

Les choses sont différentes pour chaque photographe, je ne peux pas dire quelles sont les clés du bonheur et du succès ! Mais je pense que si vous voulez quelque chose très fort, et que vous y consacrez le temps et l’énergie nécessaire jour après jour, vous pouvez atteindre votre but. Il faut y travailler 24 heures par jour. Je me réveille le matin et je m’endors le soir en pensant à la photographie et à mon travail, cela me consume. Ce qui change tout c’est surtout d’être heureux, mais c’est un paramètre assez variable, en tout cas pour moi. Rester fidèle à soi même est très important, si vous brimez vos besoin ou vos désirs, vous contrariez la beauté et la créativité qui vont avec. C’est important d’écouter vos goûts. Nous sommes dotés d’une intuition pour une bonne raison, et je pense que si nous écoutons notre instinct humain, nous pouvons trouvez le bonheur plus facilement.

Les clichés qui illustrent cet article sont utilisés avec la permission de Kayla Varley.
Pour en savoir plus sur son travail, suivez Kayla Varley sur instagram, ou visitez son site internet .

écrit par Ivana Džamić le 2016-06-09 dans #Gens

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